de clous au talon,
Ainsi
qu'Evangéline, à l'émoi de son âme
Où se mêlait le trouble et la plus
chaste flamme,
Avait bien deviné qui venait avec lui.
--«Ah! sois le
bienvenu, Lajeunesse, aujourd'hui!
S'écria le fermier en le voyant
paraître,
«La gaieté, quant tu viens, semble aussitôt renaître!
«Veux-tu donc savourer un tabac généreux?
«J'en ai plus qu'il t'en
faut, et j'en suis fort heureux
«Prends au coin du foyer ta place
accoutumée;
«Et fumons en causant. C'est parmi la fumée
«Qu'on
voit dans leur orgueil se dessiner tes traits!
«Quand tu fumes, ton
front, ton visage si frais
«Brillent comme la lune à travers les nuages
«Qui s'élèvent, le soir, au bord des marécages.»
Basile souriant,
suivi de son garçon
Au foyer plein de feu vint s'asseoir sans façon,
Et répondit ainsi:--«Mon cher Bellefontaine,
«Tu plaisantes toujours
et n'as jamais de peine,
«D'autres sont obsédés de noirs
pressentiments
«Et ne font que rêver malheurs et châtiments:
«Ils
s'attendent à tout: rien ne peut les surprendre.
Puis il s'interrompit en
ce moment pour prendre
Son calumet de terre et le charbon fumant
Qu'Evangéline allait lui porter poliment.
Et bientôt il ajouta: «Je
n'aime point pour hôtes
«Ces navires anglais mouillés près de nos
côtes.
«Leurs énormes canons qui sont braqués sur nous
«Ne nous
annoncent point les desseins les plus doux;
«Mais quels sont ses
desseins! sans doute qu'on l'ignore.
«On sait bien qu'il faudra quand
la cloche sonore
«Appellera le peuple à l'église demain,
«S'y rendre
pour entendre un mandat inhumain;
«Et ce mandant, dit-on émane du
roi George.
«Or, plus d'un paysan soupçonne un coupe-gorge.
«Tous sont fort alarmés et se montrent craintifs!»
Le fermier
répondit:--«De plus justes motifs
«Ont sans doute amené ces
vaisseaux sur nos rives:
«La pluie, en Angleterre, ou les chaleurs
hâtives
«Ont peut-être détruit les moissons sur les champs,
«Et pour
donner du pain à leurs petits enfants,
«Et nourrir leurs troupeaux, les
grands propriétaires
«Viennent chercher les fruits de nos fertiles
terres.»
--«Au bourg l'on ne dit rien d'une telle raison,
«Mais l'on
pense autrement», reprit le forgeron.
En secouant la tête avec un air
de doute;
Et poussant un soupir: «Mon cher Benoit, écoute;
«L'Angleterre n'a pas oublié Louisbourg.
«Pas plus que Port Royal,
pas plus que Beau Séjour.
«Déjà des paysans ont gagné les frontières;
«D'autres sont aux aguets sur le bord des rivières,
«Attendant en
ces lieux avec anxiété
«Cet ordre qui demain doit être exécuté!
«On
nous a dépouillé, pour combler nos alarmes,
«De tous nos
instruments et de toutes nos armes;
«Seul le vieux forgeron a ses
pesants marteaux
«Et l'humble moissonneur ses inutiles faux!»
Avec un rire franc mais un peu sarcastique
Le vieillard jovial à son
ami réplique:
«Sans armes nous goûtons un plus profond repos.
«Au milieu de nos champs et de nos gras troupeaux
«Nous sommes
mieux encor par derrière nos digues
«Que n'étaient autrefois nos
ancêtres prodigues
«Dans leurs murs qu'ébréchaient les canons
ennemis.
«D'ailleurs dans l'infortune il faut être soumis.
«J'espère
cependant que ce soir la tristesse
«Fuira loin de ce toit où va régner
l'ivresse.
«Car le contrat, ce soir, doit se conclure enfin.
«Les jeunes
gens, ensemble et d'une habile main,
«Ont bâti la maison et la grange
au village.
«Le fenil est rempli de grain et de fourrage;
«Pour un an
leur foyer est pourvu d'aliments.
«Attends, mon cher Basile, encor
quelques moments
«Et Leblanc va venir avec sa plume d'oie:
«De
nos heureux enfants partageons donc la joie.»
Cependant à l'écart en
face d'un châssis
Les jeunes fiancés étaient tous deux assis
Regardant le ciel bleu, la belle Evangéline
Livrait à Gabriel sa main
brûlante et fine;
En entendant son père elle rougit soudain.
Puis un
profond soupir fit onduler son sein.
Le silence venait à peine de se
faire
Que l'on vit à la porte arriver le notaire.
III
Comme un frêle aviron aux mains des matelots
Ou comme le filet
dans le ressac des flots
Le notaire Leblanc était courbé par l'âge:
Son front large gardait la trace d'un orage
Et sur son col bronzé
tombaient ses cheveux gris,
Pareils aux touffes d'or des épis de maïs.
A travers leur cristal ses besicles de corne
Laissaient voir la
sagesse au fond de son oeil morne
Il se plaisait beaucoup à faire des
récits.
Père de vingt enfants, plus de cent petits-fils,
Jouant sur ses
genoux, égayaient sa vieillesse--
Par leur charmant babil, et par leur
gentillesse.
Pendant la guerre il fut, comme ami des anglais,
Quatre
ans tenu captif dans un vieux bourg français.
Maintenant il avait une
grande prudence
Et la simplicité de sa naïve enfance.
C'était un bon
ami: les enfants l'aimaient tous
Car il leur racontait contes de
loups-garous,
Et d'espiègles lutins faisant au ciel des niches;
Il leur
disait le sort qu'avaient les blancs Létiches,
Enfants morts sans
baptême, esprits mystérieux
Qui voltigent toujours cherchant partout
les cieux
Et de l'enfant qui dort viennent baiser les lèvres;
Comment
une araignée éloigne toutes fièvres,
Quand on la porte au cou dans
l'écale des noix;
Comme au jour de Noël l'on entendait les voix
Des
boeufs qui se parlaient au fond de leurs étables;
Il disait les secrets,
les vertus admirables
Que le peuple, autrefois, simple autant que
loyal,
Prétendait découvrir dans le fer à cheval
Et le trèfle étalant
quatre feuilles de neige.
Et biens d'autres récits d'ogre et de sortilège.
Aussitôt cependant que Leblanc arriva,
De son siège au foyer Basile
se leva
Et, secouant le feu de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.