Evangeline | Page 4

Henry Wadsworth Longfellow
travers la prairie un sentier de verdure
Conduisait
au verger tout en fleurs le printemps.
L'automne, tout en fruits. Dans
ses bras palpitants
Une vigne enchaînait l'antique sycomore
Et
protégeait l'essaim d'une ruche sonore.
Et plus bas se trouvaient, sur
le flanc du côteau,
Le puits au bord mousseux, et tout auprès, un
sceau
Et l'auge où s'abreuvaient les boeufs et les génisses,
Puis du
côté du nord plusieurs autres bâtisses.
Les granges, les hangars
protégeaient la maison
Contre les ouragans de la froide saison.

C'était là qu'on voyait les voitures diverses:
Les pesants chariots, la
charrue et les herses,
La vaste bergerie où bêlaient les moutons
Et le
brillant sérail où criaient les dindons,
Où le coq orgueilleux chantait
d'une voix fière
Comme aux jours où son chant troubla l'âme de
Pierre.
Les granges jusqu'au faîte étaient pleines de foin;
Elles
seules semblaient un village de loin:
Leurs toits proéminents étaient
couverts en chaume,
Et le trèfle fané remplissait de son baume
Le
fenil où montait un solide escalier.
Là se trouvait encor le joyeux
colombier
Avec ses nids moelleux, ses tendres créatures,
Ses doux
roucoulements, ses amoureux murmures;
Puis au-dessus des toits,
c'étaient les cris stridents
Des girouettes de tôle allant à tous les vents.

C'est ainsi que vivait en paix avec le monde,
En paix avec son Dieu,
dans sa terre féconde,
Le fermier de Grand Pré. Sa joie et son appui

Toujours Evangéline était auprès de lui
Et gouvernait déjà sagement
le ménage.
Plus d'un jeune amoureux à peu près de son âge,
La
suivait à l'église, et priait à genoux
En reposant sur elle un oeil tendre
et jaloux.
Comme si cette femme avait été la sainte
Qu'il venait
vénérer dans la pieuse enceinte.
Bien heureux qui pouvait toucher sa
blanche main!
Marcher à ses côtés sur le bord du chemin!


Quelques-uns osaient-ils à sa porte se rendre,
Pendant qu'ils
l'écoutaient sur l'escalier descendre
Ils se seraient ceux-là demandé
bien en fin
Lequel battait plus fort, ou du marteau d'airain
Ou de
leur coeur rempli d'espérance et d'angoisse.
Aux fêtes du Patron
qu'invoquait la paroisse,
Vers le soir, la jeunesse assemblée au canton,

Dansait joyeusement au son du violon,
Et les garçons alors,
remplis de hardiesse,
Lui répétaient tout bas quelques mots de
tendresse
Mais inutilement, car de ces amoureux
Le jeune Gabriel
était le plus heureux:
Gabriel Lajeunesse enfant du Gros Basile,
Un
forgeron du bourg reconnu pour habile
Parmi les villageois qui
l'estimaient beaucoup.
Car le peuple a jugé, de tout temps et partout,

L'état de forgeron un métier honorable.
Les célestes liens d'une
amitié durable
Unissaient le fermier et le vieux forgeron.
Et leurs
petits-enfants, l'espoir de leur maison,
Avaient grandi tous deux
charmants, pieux et sages,
Semblables à deux fleurs sous les mêmes
feuillages.
Le curé du canton, homme aux nobles désirs,
Qui
méprisait la terre et dont tous les loisirs
Etaient donnés au soin de sa
chère jeunesse,
Leur avait enseigné l'amour de la sagesse
En leur
montrant à lire. Enfants naïfs alors
Ils se livraient ensemble, en paix
et sans remords,
Aux plaisirs innocents de l'innocente enfance.
Leur
leçon récitée avec obéissance,
Ils couraient à la forge où Basile, le
soir,
Bien souvent, les bras nus, le visage tout noir,
Un tablier de
cuir autour de la ceinture,
Sans crainte soulevait, avec une main sûre,

D'un cheval hennissant le vigoureux sabot;
Pendant qu'auprès de
lui, dans un feu de fagot
Rougissait lentement un grand cercle de roue,

comme un serpent de feu qui se tortille et joue
Dans un brasier
ardent allumé sous les bois.
A l'approche des nuits, l'automne, bien
des fois,
Quand le ciel était noir, et que la forge sombre
Semblait
vomir dehors les flammèches sans nombre,
Par les carreaux de vitre
et les ais du lambris,
Ils venaient regarder, avec des yeux surpris,
Le
soufflet haletant que ranimait la braise,
Et réchauffer leurs doigts en
causant à leur aise.
Quand ils n'entendaient plus le soufflet
bourdonner
Ni sous le dur marteau l'enclume résonner,
Alors ils

comparaient à des vierges pieuses
Qui, tenant à la main leurs lampes
radieuses,
Entrent au sanctuaire au milieu de la nuit.
Les étincelles
d'or qui retombaient sans bruit
Et mouraient tour à tour sous les
cendres éteintes.
Quand l'hiver étendait son voile aux riches teintes

On les voyait tous deux sur un léger traîneau,
Sillonner comme un
trait la pente du côteau:
Souvent sur les chevrons ou le toit de la
grange
Ils montaient hardiment, cherchant la pierre étrange
Que
l'hirondelle apporte à son nid, tous les ans,
Quand elle l'a trouvée au
bord des océans.
Pour de ses chers petits dessiller la paupière.

Heureux qui la trouverait cette étonnante pierre!
Ainsi leurs premiers
jours sans pleurs et sans ennuis,
Comme un songe doré s'étaient bien
vite enfuis!
Ils n'étaient plus enfants à l'époque où se passe
Le récit douloureux
qu'il faut que je vous fasse.
Gabriel était homme, il aimais les travaux,

Forgeait avec son père et ferrait les chevaux.
Evangéline était une
adorable femme--
Elle avait de son sexe et les espoirs et l'âme;
On
l'avait, dès longtemps surnommée au canton:
«Le soleil d'Eulalie», à
cause, disait-on,
Qu'elle ferait régner par sa grande prudence,
Au
foyer de l'époux la joie et l'abondance;
Et que de beaux enfants au
visage vermeil
Naîtraient de ses amours; ainsi que le soleil
Qui
brille le matin de la sainte Eulalie
Féconde les vergers dont chaque
rameau plie
Sous le poids des fruits mûrs, veloutés, odorants,

Comme un vieillard heureux sous
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