paisible, retiré
Et loin de ce qu'il fut, le hameau de Grand Pré.
Du
côté du levant de beaux champs de verdure
Offraient à cent troupeaux
une grasse pâture
Et donnèrent jadis au village son nom.
Pour
arrêter les flots le vigilant colon,
A force de travail et de rudes
fatigues,
Eleva de ses mains de gigantesques digues
Qu'au retour du
printemps on voyait s'entr'ouvrir,
Pour laisser l'océan s'élancer et
courir
Sur le duvet des prés devenus son domaine.
Au couchant, au
midi, jusqu'au loin dans la plaine
S'étendaient des vergers et des
bouquets d'ormeaux.
Le lin vert balançait ses frêles chalumeaux
Et
le blé jaunissant, ses tiges plus robustes;
Vers le nord surgissaient
mille sortes d'arbustes
Des bois mystérieux et de sombres halliers;
Et, sur les hauts sommets des monts irréguliers,
De magiques
brouillards, des brumes éclatantes,
Se paraient au soleil de couleurs
inconstantes
Et semblaient admirer le vallon dans la paix
Sans oser
cependant y descendre jamais.
C'est là qu'apparaissaient, charmantes
et coquettes,
Les maisons du hameau qui toutes étaient faites
Avec
du bois de chêne, ou d'orme ou de noyer.
Comme le paysan bâtissait
son foyer,
Dans la terre Normande, alors que sur le trône
S'asseyaient les Henri. Un chaume frais et jaune
Arrangé par
faisceaux, recouvrait tous les toits;
Des lucarnes laissaient, par les
châssis étroits,
Pénétrer le soleil jusqu'au fond des mansardes.
Lorsque tournant au vent, les girouettes criardes
S'illuminaient des
feux d'un beau soleil couchant,
Dans les beaux soirs d'été, lorsque
l'herbe du champ
Exhalait son arôme et tremblait à la brise,
Sur le
seuil de la porte avec leur jupe grise,
Leur blanche capeline et leur
mantelet noir,
Les femmes du hameau venaient gaiement s'asseoir,
Et filaient leur quenouille; et les brunes fillettes
Unissaient leurs
chansons au bruit clair des navettes
Tournant sur les métiers leurs
essieux de roseau,
Au joyeux ronflement du rapide fuseau.
Le
pasteur du village, humble et vénéré prêtre,
Alors ne tardait pas
d'ordinaire à paraître.
En le voyant venir d'un pas majestueux
Tous
les petits enfants cessaient leurs bruyants jeux,
Leurs courses dans les
prés, leurs cris de toutes sortes
Et retournaient s'asseoir en rang
devant les portes.
Arrêtant leurs fuseaux, les femmes se levaient,
Et,
par des mots polis, toutes le saluaient.
Bientôt les laboureurs revenant
de l'ouvrage
A l'étable menaient leur pesant attelage.
Le soleil
émaillait la pente du côteau:
Et ses derniers rayons, comme des filets
d'eau,
Jusques au fond du val, glissaient de roche en roche.
De sa
voix argentine au même instant la cloche
Annonçait l'angélus et le
déclin du jour.
Et, pardessus les toits et les monts d'alentour,
On
voyait la fumée en colonnes bleuâtres,
Comme des flots d'encens,
s'échapper de ces âtres
Où l'on goûtait la paix, le plus divin des biens.
Ainsi vivaient alors les simples Acadiens:
Leurs jours étaient
nombreux et leur mort était sainte.
Libres de tout souci comme de
toute crainte,
Leurs portes n'avaient point de clef ni de loquet;
Car
dans l'ombre des nuits nul n'était inquiet;
Et, chez ces bonnes gens, on
trouvait la demeure
Ouverte comme l'âme, à chacun, à toute heure.
Là le riche vivait avec frugalité,
Le pauvre n'avait point de nuits
d'anxiété.
Sur une grande ferme attachée au village,
Et tout près du bassin, au
milieu du feuillage,
On voyait, autrefois une belle maison
A l'air un
peu coquet avec son blanc pignon:
C'était là qu'habitait Benoit
Bellefontaine.
Il avait avec lui, dans ce joli domaine,
La jeune
Evangéline, une suave fleur.
Tous deux vivaient heureux. Benoit
avait du coeur,
Une haute stature, un bras fort, un front hâve,
Un
oeil intelligent mais peut-être un peu cave,
Un démarche ferme et
soixante-et-dix ans.
Avec son teint de bronze et ses longs cheveux
blancs
Il était comme un chêne au milieu d'une lande.
Un chêne que
la neige orne d'une guirlande.
Et cette jeune fille, elle était belle à voir,
Avec ses dix-sept ans, son front pur, son oeil noir
Qu'ombrageait
une épaisse et longue chevelure;
Comme au bord de la route une
discrète mûre
Dérobée à demi par un épais buisson!
Elle était belle
à voir, au temps de la moisson,
Lorsqu'elle s'en allait à travers la
prairie,
Avec son corset rouge et sa jupe fleurie,
Porter aux
moissonneurs assis sur les guérets,
Chaque jour, un flacon tout plein
de cidre frais!
Mais les jours de dimanche elle était bien plus belle!
Quand la cloche sonnait dans la haute tourelle
Que le prêtre, en
surplis, bénissait, au saint lieu,
Le peuple rassemblé pour rendre
hommage à Dieu,
On la voyait venir le long de la bruyère,
Tenant
dans sa main blanche un livre de prière
Ou les grains vénérés d'un
humble chapelet.
Elle portait alors élégant mantelet,
Jupon bleu,
souliers fins, chapeau de Normandie,
Et brillants anneaux d'or qu'aux
rives d'Acadie
Une aïeule de France autrefois apporta;
Que la mère,
en mourant, à sa fille quitta
Comme un gage sacré, comme un saint
héritage
Mais un éclat plus doux inondait son visage
Quand, venant
de confesse à l'approche du soir,
Elle passait sans bruit sur le bord du
trottoir
Adorant dans son coeur Dieu qui l'avait bénie.
On aurait dit
alors qu'une pure harmonie
Comme un accord qui meurt sur ses pas
s'élevait.
La maison du fermier en ces temps se trouvait
Sur un
charmant côteau dont la pente riante
S'inclinait, par degrés, vers la
rive bruyante.
Le sentier pour s'y rendre était bordé d'ormeaux;
Un
sycomore altier, de ses vastes rameaux,
En ombrageait la porte et la
sombre toiture.
A
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