Aman nous sommes tous livres. Les glaives, les couteaux sont de'ja prepares. Toute la nation a la fois est proscrite. Aman, l'impie Aman, race d'Amalecite, 170 A pour ce coup funeste arme tout son credit; Et le Roi, trop cre'dule, a signe cet edit. Prevenu centre nous par cette bouche impure, Il nous croit en horreur a toute la nature. Ses ordres sont donnes; et dans tous ses Etats, 175 Le jour fatal est pris pour tant d'assassinats. Cieux, eclairerez-vous cet horrible carnage? Le fer ne connaitra ni le sexe ni l'age; Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours; Et ce jour effroyable arrive dans dix jours. 180
ESTHER.
O Dieu, qui vois former des desseins si funestes, As-tu donc de Jacob abandonne les restes?
UNE DES PLUS JEUNES ISRAELITES.
Ciel, qui nous defendra, si tu ne nous defends?
MARDOCHEE.
Laissez les pleurs, Esther, a ces jeunes enfants. En vous est tout I'espoir de vos malheureux freres. 185 II faut ies secourir. Mais les heures sont cheres: Le temps vole, et bientot amenera le jour Ou le nom des Hebreux doit perir sans retour. Toute pleine du feu de tant de saints prophetes, Allez, osez au Roi declarer qui vous etes. 190
ESTHER.
Helas! ignorez-vous quelles severes lois Aux timides mortels cachent ici les rois? Au fond de leur palais leur majeste terrible Affecte a leurs sujets de se rendre invisible; Et la mort est le prix de tout audacieux 195 Qui, sans etre appele, se presente a teurs yeux, Si le Roi dans l'instant, pour sauver le coupable, Ne lui donne a baiser son sceptre redoutable. Rien ne met a l'abri de cet ordre fatal, Ni le rang, ni le sexe, et le crime est e'gal. 200 Moi-meme, sur son trone, a ses cotes assise, Je suis a cette loi comme une autre soumise; Et sans le prevenir, il faut, pour lui parler, Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me fasse appeler.
MARDOCHEE.
Quoi? lorsque vous voyez perir votre patrie, 205 Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie! Dieu parle, et d'un mortel vous craignez le courroux! Que dis-je? votre vie, Esther, est-elle a vous? N'est-elle pas au sang dont vous etes issue? N'est-elle pas a Dieu dont vous l'avez recue? 210 Et qui sait, lorsqu'au tr?ne il conduisit vos pas, Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas?
Songez-y bien: ce Dieu ne vous a pas choisie Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Asie, Ni pour charmer les yeux des profanes humains. 215 Pour un plus noble usage il réserve ses saints. S'immoler pour son nom et pour son héritage, D'un enfant d'Isra?l voilà le vrai partage: Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours! Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours? 220 Que peuvent contre lui tous les rois de la terre? En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre: Pour dissiper leur ligue il n'a qu'à se montrer; Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer. Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble; 225 Il voit comme un néant tout l'univers ensemble; Et les faibles mortels, vains jouets du trépas, Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas.
S'il a permis d'Aman l'audace criminelle, Sans doute qu'il voulait éprouver votre zèle. 230 C'est lui qui, m'excitant à vous oser chercher, Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher; Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles, Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles. Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers 235 Par la plus faible main qui soit dans l'univers. Et vous, qui n'aurez point accepté cette grace, Vous périrez peut-être, et toute votre race.
ESTHER.
Allez. Que tous les Juifs dans Suse répandus, A prier avec vous jour et nuit assidus, 240 Me prêtent de leurs voeux le secours salutaire, Et pendant ces trois jours gardent un je?ne austère. Déjà la sombre nuit a commencé son tour: Demain, quand le soleil rallumera le jour, Contente de périr, s'il faut que je périsse, 245 J'irai pour mon pays m'offrir en sacrifice. Qu'on s'éloigne un moment.
(_Le Choeur se retire vers le fond du théatre_.)
SCèNE IV.
ESTHER, éLISE, LE CHOEUR.
ESTHER.
O mon souverain Roi! Me voici donc tremblante et seule devant toi. Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance Qu'avec nous tu juras une sainte alliance, 250 Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux, Il plut à ton amour de choisir nos a?eux. Même tu leur promis de ta bouche sacrée Une postérité d'éternelle durée. Hélas! ce peuple ingrat a méprisé ta loi; 255 La nation chérie a violé sa foi; Elle a répudiée son époux et son père, Pour rendre à d'autres dieux un honneur adultère. Maintenant elle sert sous un ma?tre étranger. Mais c'est peu d'être esclave, on la veut égorger.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.