pourrait ranger les fables dans la 2e classe de la catégorie
précédente (morale pratique) si elles ne présentaient ce caractère
spécial que leurs principaux acteurs sont des animaux, à l'exclusion
presque absolue de l'homme dont le rôle--quand il lui advient d'en jouer
un--n'est jamais qu'accessoire. Ce n'est pas que les animaux ne figurent
dans les contes mais, dans ce cas, ils y sont dépeints avec des
caractéristiques qui les rendent essentiellement différents du type, qui
leur est attribué dans les fables. Les animaux des contes sont, soit des
génies travestis, soit de véritables animaux-génies. Qui reconnaîtrait,
par exemple, l'hyène grotesque et couarde des fables dans le chef des
hyènes du conte de «Binanmbé» ou bien encore dans celui du conte
intitulé «D'où vient le soleil[27]»?
[Note 27: Voir également les animaux gardiens du dounnou ou l'hyène
vengeresse de la morale outragée dans «Le châtiment de la diâto».]
Le caractère fixé pour chaque animal dans la littérature «fablesque» est
purement conventionnel. Ainsi le lièvre dont les Indo-Européens ont
fait le symbole de l'inquiétude toujours en éveil[28] devient chez les
noirs l'animal avisé, détenteur de ce sac à malices dont nous avons fait,
nous, la propriété de compère le renard. Le lion n'est pas toujours pour
eux le roi des animaux et l'éléphant leur parait plus souvent digne de ce
titre d'honneur. Le serpent en qui nous voyons l'emblème de la
prudence n'est pas nettement campé comme tel. En revanche, il ne joue
pas inévitablement le rôle d'ingrat auquel l'a condamné notre
imagination[29]. Même dans le conte-fable «Ingratitude», il met en
garde l'homme contre l'ingratitude d'un propre congénère de celui-ci.
[Note 28: Les noirs lui donnent aussi quelquefois ce rôle. V. «Chassez
le naturel....»]
[Note 29: Même dans le conte du serpent, cet animal agit plutôt en
ingrat passif.--La Fontaine a d'ailleurs dit chez nous:
... Que le symbole des ingrats. Ce n'est pas le serpent, c'est l'homme.]
Chaque peuple a ses conceptions, plus ou moins convaincues, sous ce
rapport et nul ne songerait à proposer le recueil des fables de notre La
Fontaine comme un modèle de vérité scientifique.
En regard des fables--relativement rares--qui relatent les aventures
d'animaux divers, il en est un grand nombre qui s'attachent avec
complaisance à évoquer les tours pendables de frère lièvre à son
éternelle dupe: l'hyène. C'est ainsi qu'à côté des fables ésopiques s'est
constitué au moyen âge le roman du renard.
A première vue on est tenté d'établir des similitudes, d'identifier
Diâtrou, l'hyène, au brutal Isengrin et frère lièvre à Goupil le renard,
mais l'ouvre médiévale est avant tout une suite de fabliaux satiriques où
l'humeur gouailleuse du populaire s'esbaudit à un pastiche de la société
féodale. Or il ne semble pas qu'on en puisse dire autant de la geste
burlesque de l'hyène et du lièvre dans la littérature indigène, encore
qu'elle célèbre, elle aussi, le triomphe de l'esprit madré sur la force
brutale.
Cependant il serait présomptueux de prétendre porter un jugement
définitif sur cette question. Quoi qu'il en soit, il est un fait à retenir c'est
qu'à part le titre de roi donné à l'éléphant on ne voit pas trace dans les
fables indigènes d'une société animale constituée avec ses marabouts,
ses parasites des puissants, ses dignitaires et ses magistrats, bien que la
société indigène offre des exemples d'un semblable état de choses[30].
[Note 30: Ainsi la cour des bourbas diolofs avait son toubé ou vice-roi,
ses diarafs (ou? comtes) son bicète (héraut) etc., comme je l'ai indiqué
dans une autre étude.]
Nous reviendrons un peu plus longuement sur tout cela quand, au
chapitre IV, nous étudierons les personnages des fables et, plus
spécialement les deux grands premiers Rôles.
F. Contes égrillards, humoristiques et à combles.
De même que celle de nos ancêtres gaulois ou moyen-âgeux, la
civilisation attardée des noirs ne s'effraie ni de l'anecdote scatologique,
ni du récit égrillard. On sait d'ailleurs qu'en France même, la
pudibonderie... verbale ne remonte guère qu'à deux siècles et demi tout
au plus.
Est-ce immoralité chez l'indigène? Non pas; mais amoralité absolue. Le
noir, non catéchisé, est naturellement et ingénuement amoral. Il n'a pas,
comme nous, cet atavisme de morale religieuse dont l'influence persiste
même chez les «libres-penseurs» les plus dégagés, en apparence, de
l'étreinte du passé et qui nous fait nous effaroucher devant le récit
d'actes ou d'événements somme toute conformes à la loi de Nature.
Il semble cependant que cette amoralité s'achemine peu à peu vers la
réprobation de certains de ces actes naturels puisqu'elle cesse de s'en
désintéresser, ce qu'elle manifeste en commençant à les tourner en
dérision, au lieu de les laisser passer aussi inaperçus que le fait de
manger quand on a soif ou de dormir lorsqu'on a sommeil.
C'est, d'ailleurs, en les exagérant que l'humeur gaillarde du noir
parvient à rendre comiques ces actes-là. Aussi ferons-nous voisiner les
contes
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