Essai sur la littérature merveilleuse des noirs, suivi de Contes indigènes de lOuest afr | Page 9

François-Victor Équilbecq
roi des animaux et l'éléphant leur parait plus souvent digne de ce titre d'honneur. Le serpent en qui nous voyons l'emblème de la prudence n'est pas nettement campé comme tel. En revanche, il ne joue pas inévitablement le r?le d'ingrat auquel l'a condamné notre imagination[29]. Même dans le conte-fable ?Ingratitude?, il met en garde l'homme contre l'ingratitude d'un propre congénère de celui-ci.
[Note 28: Les noirs lui donnent aussi quelquefois ce r?le. V. ?Chassez le naturel....?]
[Note 29: Même dans le conte du serpent, cet animal agit plut?t en ingrat passif.--La Fontaine a d'ailleurs dit chez nous:
... Que le symbole des ingrats. Ce n'est pas le serpent, c'est l'homme.]

Chaque peuple a ses conceptions, plus ou moins convaincues, sous ce rapport et nul ne songerait à proposer le recueil des fables de notre La Fontaine comme un modèle de vérité scientifique.
En regard des fables--relativement rares--qui relatent les aventures d'animaux divers, il en est un grand nombre qui s'attachent avec complaisance à évoquer les tours pendables de frère lièvre à son éternelle dupe: l'hyène. C'est ainsi qu'à c?té des fables ésopiques s'est constitué au moyen age le roman du renard.
A première vue on est tenté d'établir des similitudes, d'identifier Diatrou, l'hyène, au brutal Isengrin et frère lièvre à Goupil le renard, mais l'ouvre médiévale est avant tout une suite de fabliaux satiriques où l'humeur gouailleuse du populaire s'esbaudit à un pastiche de la société féodale. Or il ne semble pas qu'on en puisse dire autant de la geste burlesque de l'hyène et du lièvre dans la littérature indigène, encore qu'elle célèbre, elle aussi, le triomphe de l'esprit madré sur la force brutale.
Cependant il serait présomptueux de prétendre porter un jugement définitif sur cette question. Quoi qu'il en soit, il est un fait à retenir c'est qu'à part le titre de roi donné à l'éléphant on ne voit pas trace dans les fables indigènes d'une société animale constituée avec ses marabouts, ses parasites des puissants, ses dignitaires et ses magistrats, bien que la société indigène offre des exemples d'un semblable état de choses[30].
[Note 30: Ainsi la cour des bourbas diolofs avait son toubé ou vice-roi, ses diarafs (ou? comtes) son bicète (héraut) etc., comme je l'ai indiqué dans une autre étude.]
Nous reviendrons un peu plus longuement sur tout cela quand, au chapitre IV, nous étudierons les personnages des fables et, plus spécialement les deux grands premiers R?les.
F. Contes égrillards, humoristiques et à combles.
De même que celle de nos ancêtres gaulois ou moyen-ageux, la civilisation attardée des noirs ne s'effraie ni de l'anecdote scatologique, ni du récit égrillard. On sait d'ailleurs qu'en France même, la pudibonderie... verbale ne remonte guère qu'à deux siècles et demi tout au plus.
Est-ce immoralité chez l'indigène? Non pas; mais amoralité absolue. Le noir, non catéchisé, est naturellement et ingénuement amoral. Il n'a pas, comme nous, cet atavisme de morale religieuse dont l'influence persiste même chez les ?libres-penseurs? les plus dégagés, en apparence, de l'étreinte du passé et qui nous fait nous effaroucher devant le récit d'actes ou d'événements somme toute conformes à la loi de Nature.
Il semble cependant que cette amoralité s'achemine peu à peu vers la réprobation de certains de ces actes naturels puisqu'elle cesse de s'en désintéresser, ce qu'elle manifeste en commen?ant à les tourner en dérision, au lieu de les laisser passer aussi inaper?us que le fait de manger quand on a soif ou de dormir lorsqu'on a sommeil.
C'est, d'ailleurs, en les exagérant que l'humeur gaillarde du noir parvient à rendre comiques ces actes-là. Aussi ferons-nous voisiner les contes à combles dans cette catégorie avec les récits scabreux.
Par ?contes à combles? j'ai voulu désigner ces récits d'exagération puérile où la dr?lerie résulte du caractère excessif des actes prêtés à ceux qui y figurent. Cette dénomination a été donnée en souvenir de cette mode des ?combles? qui sévit jadis en France... dans un milieu où l'on se montre assez accommodant quant à la qualité de l'esprit. Quel est le comble de la vitesse? Quel est le comble de ceci? Quel est le comble de cela?
Les thèmes habituels des contes égrillards sont: l'adultère et les vaines précautions des maris jaloux; les mésaventures des amants surpris en posture ?déshonnête?; les incongruités formidables (Les incongrus) des ?gauloiseries? sur les organes sexuels, tant masculin que féminin (Le procès funèbre de la bouche.--L'organe dénonciateur.--Le jaloux assagi.--Bissimilaye et Astafroulla.--Le bengala d'ane, etc.).
Comme spécimens de contes à combles, je signalerai notamment: Les trois gloutons. Les coureurs émérites.--Les six géants et leur mère.--Amatelenga.--Les dons merveilleux du guinnarou (et diverses variantes de ce conte de Grimm). Sechse kommen durch die ganze Welt?[31].
[Note 31: Cf. Lanrezac, Comment les quatre merveilles du Soudan se connurent, etc. (Op. cit.).]
Comme contes simplement humoristiques ou satiriques, je citerai entre autres: Hableurs bambara.--L'avare et l'étranger; ceux qui racontent les exploits de quelques joyeux sacripants: tels que Fountinndouha (les méfaits de Foutinndouha).--Les fourberies de M
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