toutes professions: griots[1], gardes, interprètes, dioulas[2], laptots[3], simples cultivateurs.
[Note 1: Musiciens ou bouffons indigènes.]
[Note 2: Colporteurs.]
[Note 3: Matelots ou piroguiers au service de l'Administration.]
Ce travail ne lui a pas été corvée et il ne dissimule pas que le plaisir d'entendre narrer des histoires que beaucoup tiennent pour uniquement puériles a tout d'abord sensiblement stimulé sa vocation naissante de folkloriste. Mais il n'a pas tardé à se rendre compte du parti qui peut être tiré de ces récits pour la compréhension de la psychologie indigène. Le noir, qui se déroberait à un interrogatoire précis, dont le but, pressenti, éveille en lui une défiance confuse, se révèle au contraire en toute ingénuité dans ses contes où se traduisent les tendances--tout au moins idéales--de la race. Il n'éprouve aucune fausse honte à exposer, sous l'apparence d'un récit fantaisiste, la conception qu'il a de l'univers et de sa formation, des lois, morales et naturelles qui le régissent et, en général, de la vie.
Au point de vue pratique, l'utilité de ces récits n'est pas moindre pour le fonctionnaire qui entend diriger les populations assujetties au mieux des intérêts du pays qui l'a commis à cette tache. Il faut conna?tre celui que l'on veut dominer, de fa?on à tirer parti tant de ses défauts que de ses qualités en vue du but que l'on se propose. Ce n'est qu'ainsi qu'on parvient à s'assurer sur lui ce prestige moral qui fait les suprématies effectives et durables.
Les conclusions que l'on peut tirer de la lecture des contes sous ce rapport ont, au moins, une valeur confirmative de ce que l'observation directe du noir nous aura déjà appris.
D'autre part, à cette heure où l'Islam envahit de plus en plus la terre d'Afrique, il est bon d'enregistrer sans retard des traditions qui ne sont pas encore tout à fait dénaturées dans les pays déjà islamisés et qui, dans les régions encore intactes, ont conservé--ou peu s'en faut--leur pureté. Ces traditions sont les suprêmes vestiges des croyances primitives de la race noire et, à ce titre, méritent d'être sauvées de l'oubli.
Elles le méritent encore au point de vue littéraire. Le fond des récits et la fa?on dont ils sont traités les maintiennent au niveau des contes populaires indo-européens ou sémites, avec lesquels ces récits offrent d'ailleurs de manifestes ressemblances.
Quant à la forme qu'on a respectée, autant qu'il était possible de le faire pour être compris des lecteurs fran?ais, elle est, espérons-nous, celle même que comporte la narration de contes populaires[4]. Les contes recueillis de 1904 à 1910 ont été sténographiés sous la lente dictée des narrateurs indigènes: Ahmadou Diop, Boubakar Mamadou, Amadou Kouloubaly, Ousmann Guissé, Gaye Ba, etc. Ceux transcrits au cours des années 1911 et 1912 ont été traduits par Samako Niembélé, un interprète intelligent, parlant assez correctement le fran?ais et je pourrais dire qu'ils sont plut?t son ouvre que la mienne, si je n'avais essayé, par quelques mots changés ?à et là, de donner à son style la vivacité et l'expression qu'il ne pouvait, malgré une connaissance assez avancée de notre langue, lui communiquer autant qu'il l'aurait souhaité.
[Note 4: Nombre de personnes, qui ne s'attendaient guère à trouver chez le noir une imagination aussi variée, m'ont demandé si j'étais bien certain que ces contes fussent vraiment populaires ou si l'on ne pouvait les supposer, au contraire, l'oeuvre et l'apanage exclusif de relatifs lettrés. J'ai répondu, je réponds encore ceci que ceux qui me les ont racontés appartenaient tous aux classes les plus modestes de la société; que d'ailleurs, au cours de déplacements qui m'amenaient parmi des peuplades très diverses; j'avais entendu raconter avec quelques variantes insignifiantes, les mêmes récits. Ainsi Le fils du sérigne (ouolof), Le plus terrible des êtres animés (bambara) Kahué l'omniscient (peuhl). Trois frères en voyage (gourmantié), exposent mêmes symboles et les deux premiers reproduisent à peu près le même récit. Il en est de même d'un conte m?ssi recueilli par Froger qui est con?u sur le même plan. Je pourrais multiplier les exemples, mais je préfère indiquer ces rapports en note à la fin du conte qui en occasionne la constatation.]
J'insiste sur ce point que ni le fond ni les détails n'ont eu à souffrir de ce souci d'amélioration de la forme.
On trouvera ici beaucoup d'expressions locales, familières sans doute aux coloniaux, mais médiocrement intelligibles, sauf explication, pour le lecteur européen. J'ai cru pourtant devoir les conserver pour laisser au récit sa couleur locale encore qu'il y ait une incohérence apparente à mélanger dans un même conte des expressions ouoloves comme ?tiéré?[5] et soussou comme ?kélé?[6]. En fait, notre occupation, en amenant des rapports plus fréquents entre populations qui s'ignoraient à peu près auparavant, favorise la création d'une sorte de sabir ouest-africain au sein duquel des vocables du Ouada? voisineront bient?t avec des expressions du Cayor ou du Baoulé. Ce sabir contient en puissance le
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