Enfances célèbres | Page 3

Louise Colet
entières enfermé avec son oncle dans la vaste bibliothèque du couvent, et ils apprirent ensemble le latin, le grec, le chaldéen, l'hébreu et l'arabe, et étudièrent tous les ouvrages composés dans les littératures diverses.
Je ne pourrais vous dire, enfants, que de plaisirs, que de joies complètes ces études firent go?ter au jeune Pic de La Mirandole. Il vivait ainsi avec tous les peuples anciens, qui venaient tour à tour lui parler dans leurs idiomes et l'entretenir mystérieusement de leurs gloires disparues.
Jean étudia aussi les livres saints; il en pénétra les mystères et le sens; puis, lorsqu'il eut approfondi les deux grands codes de nos croyances, la Bible et l'évangile, il lut les écrits que les Pères et les docteurs nous ont laissés sur ces livres divins, et il posséda bient?t dans toute sa plénitude cette formidable science qu'on appelait alors théologie. Cette science était en honneur dans les universités de l'Europe; chaque année, les plus célèbres ma?tres faisaient soutenir des thèses par leurs élèves, et ceux qui pouvaient résoudre les questions difficiles proposées par leurs ma?tres étaient couronnés en public.
Jean, quoique absorbé par le travail, ne pouvait être indifférent aux chagrins de ses parents. Bien qu'il ne partageat pas les go?ts de son père, il admirait avec respect ce vieux guerrier vaincu, qui br?lait de recouvrer par les armes les domaines de ses ancêtres, et qui se désolait en voyant chaque jour s'éloigner son espérance. Un soir, le comte était rentré avec ses fils a?nés, plus mécontent que de coutume; il arrivait d'un chateau voisin, habité par un seigneur qui lui avait promis plus d'une fois le secours de ses armes, et qui, sommé de tenir sa parole, venait de lui faire une réponse évasive. De retour dans son habitation, le comte exhala toute l'amertume de ses pensées, s'écriant qu'il aimerait mieux mourir que de vivre plus longtemps dans l'abaissement où l'infortune l'avait placé. Ses fils a?nés répétèrent ses paroles, et ils jurèrent d'aller se faire tuer dans quelque guerre lointaine plut?t que de languir obscurs. La comtesse, témoin de cette douleur, versa des larmes, et son fils Jean tacha de calmer le désespoir de son père et de ses frères. Mais, voyant qu'il ne pouvait y réussir et qu'on répondait par le sarcasme à ses paroles douces, le noble enfant resta rêveur, réfléchissant en lui s'il ne trouverait pas quelque moyen de rendre à sa famille le bonheur qu'elle n'avait plus.
Tandis que les Mirandole exilés se désespéraient ainsi, Fra Rinaldo, le prieur, entra. ?Je vous annonce, dit-il, une nouvelle qui sera sans doute fort indifférente à plusieurs d'entre vous, mais que Jean apprendra avec intérêt.--Laquelle? dit le jeune Pic accourant vers son oncle.--L'arrivée du professeur Lulle, qui vient pour faire soutenir des thèses de théologie aux élèves de l'université de Modène.--Oh! que je voudrais bien le voir, s'écria l'enfant; Lulle! Lulle! le plus grand savant de l'Europe! Oh! mon oncle, ce doit être un homme bien merveilleux.? Mais, s'apercevant que son admiration na?ve excitait l'ironie de ses frères, il se tut; puis il prit en silence une grande résolution.
Lorsque le prieur se leva pour sortir, il le suivit, et, dès qu'il put lui parler sans témoin: ?Mon oncle, dit-il, je veux aller à Modène, je veux voir le professeur Lulle, je veux soutenir une thèse devant lui et faire honneur au nom de mon père!--Enfant, répondit Fra Rinaldo, ta pensée est noble et grande; quoique bien jeune encore, je te crois assez savant pour soutenir une thèse devant Lulle, mais comment aller à Modène? ta famille en est proscrite et elle ne peut y rentrer sous peine de mort: toi-même, pauvre enfant! malgré ton age, tu as été compris dans cette horrible proscription. Ce serait un acte de démence d'exposer ta vie pour un vain désir de gloire!--Oh! vous ne m'avez pas compris! s'écria Jean; ce n'est point un désir de gloire qui m'anime, c'est une pensée meilleure!? Et alors il raconta à son oncle ce qui le poussait à ce dessein; le religieux, touché et convaincu par la sagesse de ses paroles, lui promit de le seconder. Il fut résolu qu'on cacherait son voyage à sa famille, et que dès l'aube il partirait, accompagné d'un frère lai, sous prétexte de se rendre à un couvent voisin dont le supérieur désirait le conna?tre; mais il prendrait en réalité la route de Modène, où il arriverait sous le simple nom de Jean, comme un jeune clerc recommandé au célèbre Lulle par Fra Rinaldo, lequel avait autrefois connu ce professeur.
Ayant obtenu cette promesse de son oncle, l'enfant tomba à ses genoux et le remercia en pleurant d'avoir consenti à son voyage; le religieux le bénit; puis ils se séparèrent. Jean ne put dormir de la nuit: tout ce qu'il aurait à dire au professeur Lulle s'agitait dans son esprit; la crainte
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