Enfances célèbres | Page 2

Louise Colet
d'autres, je ne parlerai que du grand saint Ambroise. Un essaim d'abeilles se posa sur sa bouche, s'y introduisit, et en sortant aussit?t, s'envola au plus haut des airs, se cacha dans les nues, et disparut aux yeux de ses parents et de tous ceux qui étaient présents à ce spectacle.?
Nous citons ce fragment sans attacher ni créance ni importance au phénomène dont il est question, mais seulement pour donner une idée de l'opinion qu'avaient sur lui les contemporains de Pic de La Mirandole.

PIC DE LA MIRANDOLE.
L'histoire que je vais vous conter, enfants, vous prouvera à quel bonheur et à quelle renommée peut conduire l'amour de l'étude.
Près de Modène, en Italie, dans un vieux chateau, vivait, au quinzième siècle, Fran?ois de La Mirandole, comte de Concordia.
Ses ancêtres avaient été des princes puissants; ils s'étaient fait redouter de tous leurs voisins, et principalement des Bonacossi: c'étaient des seigneurs de Mantoue qui portaient une haine héréditaire aux comtes de La Mirandole.
Au moment où commence notre histoire, cette haine n'était pas éteinte. Des querelles toujours renaissantes l'entretenaient, et Fran?ois de La Mirandole se tenait constamment sous les armes pour repousser les attaques du seigneur Bonacossi, qui avait des partisans nombreux dans le gouvernement de Modène. Le comte Fran?ois avait trois fils: les deux a?nés partageaient son humeur belliqueuse; mais le plus jeune, Jean Pic de La Mirandole, qui n'avait que dix ans, fuyait tous les exercices tumultueux et passait les heures à étudier auprès de sa mère. Cependant son père contrariait ses go?ts paisibles, et, le traitant durement, lui disait parfois qu'il serait la honte d'une famille dont tous les ancêtres s'étaient illustrés à la guerre. Mais l'enfant ne pleurait point à ces reproches, car il sentait qu'il possédait en lui de quoi se justifier un Jour.
[Illustration: Pic de La Mirandole étudiant auprès de sa mère]
A dix ans, en effet, il connaissait déjà toute la littérature ancienne, et il composait des vers qu'admiraient avec étonnement tous ceux qui les pouvaient comprendre. Sa mère aimait à les lui entendre répéter, et souvent, dans un transport de tendresse et d'orgueil, elle s'écriait: ?Jean, sans doute, fera de grandes choses!?
Donc, sans avoir pu faire partager cette opinion au comte Fran?ois, elle avait enfin obtenu de lui qu'il laisserait se développer en paix cette intelligence dont il ne devinait pas l'étendue.
Cependant une nouvelle guerre éclata bient?t entre les deux familles. Chacune, en prenant les armes, avait juré de ne les quitter qu'après l'extinction de l'autre. Les combats furent longs et sanglants. Des deux c?tés, la valeur était la même, et la victoire ne se serait pas décidée à nombre égal; mais le comte Fran?ois, qui n'était pas aimé, vit se coaliser contre lui plusieurs princes voisins, et il fut vaincu par Bonacossi; celui-ci aurait exterminé la race entière du comte, si le gouvernement de Modène n'était intervenu. Les Mirandole eurent la vie sauve, mais tous leurs biens furent confisqués et on les exila des états de Modène, où on leur défendit de rentrer sous peine de mort.
Ce fut un jour de grande douleur pour le comte que celui où il fut chassé du chateau de ses a?eux, et où il dut aller mendier sur la terre étrangère le pain dur de l'hospitalité; il versa des pleurs de rage en passant sous la haute porte blasonnée de son manoir féodal, et ses fils a?nés, forcés de contenir leur indignation contre le vainqueur, baissaient la tête comme lui en grin?ant des dents. Leur mère, qui tenait par la main son plus jeune fils, était accablée d'un désespoir morne. L'enfant comprit alors tout ce que sa douleur muette avait de profond, et il lui dit d'une voix pleine de conviction: ?Consolez-vous, ma mère, nous reviendrons un jour, nous ne mourrons pas en exil.?
La comtesse avait un frère, prieur d'un couvent près de Bologne: elle résolut d'aller lui demander asile pour sa famille. Frère Rinaldo accueillit les exilés avec tous les égards et tout l'empressement dus au malheur, et mit à leur disposition une petite villa dépendante du monastère, où ils trouvèrent une vie calme.
Mais le comte et ses fils a?nés, accoutumés au commandement, ne pouvaient se faire à cette existence humble. Ils se lièrent avec plusieurs gentilshommes des environs; ils allaient chasser sur leurs terres, prenaient parti dans leurs querelles et tachaient ainsi de gagner leur amitié pour les décider plus tard à leur prêter des troupes, afin de reconquérir leur patrimoine.
Jean ne suivait pas son père et ses frères dans ces excursions; il restait toujours auprès de sa mère et de son oncle, homme sage, plein de science et de bonté, qui avait pour lui la plus tendre affection et qui dirigeait ses études. L'intelligence de l'enfant grandissait chaque jour sous un pareil ma?tre, et bient?t il surpassa en érudition tous les religieux du monastère. Il restait des heures
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