il faut aussi que nous nous décidions à
vendre...»
Il y eut une hésitation et un moment de silence pénible.
«Palikare", dit Perrine.
-- Tu y avais pensé?
-- Si j’y avais pensé! Mais je n’osais pas le dire, et depuis que l’idée me
tourmentait que nous serions forcées un jour ou l’autre de le vendre, je
n’osais même pas le regarder, de peur qu’il ne devine que nous
pouvions nous séparer de lui, au lieu de le conduire à Maraucourt où il
aurait été si heureux, après tant de fatigues.
-- Savons-nous seulement si nous-mêmes nous serons reçues à
Maraucourt! Mais enfin, comme nous n’avons que cela à espérer et
que, si nous sommes repoussées, il ne nous restera plus qu’à mourir
dans un fossé de la route, il faut coûte que coûte que nous allions à
Maraucourt, et que nous nous y présentions de façon à ne pas faire
fermer les portes devant nous...
-- Est-ce que c’est possible, cela maman? Est-ce que le souvenir de
papa ne nous protégerait pas? lui qui était si bon! Est-ce qu’on reste
fâché contre les morts?
-- Je te parle d’après les idées de ton père, auxquelles nous devons
obéir. Nous vendrons donc et la voiture et Palikare. Avec l’argent que
nous en tirerons, nous appellerons un médecin; qu’il me rende des
forces pour quelques jours, c’est tout ce que je demande. Si elles
reviennent, nous achèterons une robe décente pour toi, une pour moi,
et nous prendrons le chemin de fer pour Maraucourt, si nous avons
assez d’argent pour aller jusque-là; sinon nous irons jusqu’où nous
pourrons, et nous ferons le reste du chemin à pied.
-- Palikare est un bel âne; le garçon qui m’a parlé à la barrière me le
disait tantôt. Il est dans un cirque, il s’y connaît; et c’est parce qu’il
trouvait Palikare beau, qu’il m’a parlé.
-- Nous ne savons pas la valeur des ânes à Paris, et encore moins celle
que peut avoir un âne d’Orient. Enfin, nous verrons, et puisque notre
parti est arrêté, ne parlons plus de cela: c’est un sujet trop triste, et
puis je suis fatiguée.»
En effet, elle paraissait épuisée, et plus d’une fois elle avait dû faire de
longues pauses pour arriver à bout de ce qu’elle voulait dire.
«As-tu besoin de dormir?
-- J’ai besoin de m’abandonner, de m’engourdir dans la tranquillité,
du parti pris et l’espoir d’un lendemain.
-- Alors, je vais te laisser pour ne pas te déranger, et comme il y a
encore deux heures de jour, je vais en profiter pour laver notre linge.
Est-ce que ça ne te paraîtra pas bon d’avoir demain une chemise
fraîche?
-- Ne te fatigue pas.
-- Tu sais bien que je ne suis jamais fatiguée.»
Après avoir embrassé sa mère, elle alla de-ci de-là dans la roulotte,
vivement, légèrement; prit un paquet de linge dans un petit coffre ou il
était enfermé, le plaça dans une terrine; atteignit sur une planche un
petit morceau de savon tout usé, et sortit emportant le tout. Comme
après que le riz avait été cuit, elle avait empli d’eau sa casserole, elle
trouva cette eau chaude et put la verser sur son linge. Alors,
s’agenouillant dons l’herbe, après avoir ôté sa veste, elle commença a
savonner, à frotter, et sa lessive ne se composant en réalité que de deux
chemises, de trois mouchoirs, de deux paires de bas, il ne lui fallait pas
deux heures pour que fût tout lavé, rincé et étendu sur des ficelles entre
la roulotte et la palissade.
Pendant qu’elle travaillait, Palikare attaché, à une courte distance
d’elle, l’avait plusieurs fois regardée comme pour la surveiller, mais
sans rien de plus. Quand il vit qu’elle avait fini, il allongea le cou vers
elle et poussa cinq ou six braiments qui étaient des appels impérieux.
«Crois-tu que je t’oublie?» dit-elle.
Elle alla à lui, le changea de place et lui apporta à boire dans sa
terrine qu’elle avait soigneusement rincée, car s’il se contentait de
toutes les nourritures qu’on lui donnait ou qu’il trouvait lui-même, il
était au contraire très difficile pour sa boisson, et n’acceptait que de
l’eau pure dans des vases propres ou le bon vin qu’il aimait par-dessus
tout.
Mais cela fait, au lieu de le quitter, elle se mit à le flatter de la main en
lui disant des paroles de tendresse comme une nourrice à son enfant, et
l’âne, qui tout de suite s’était jeté sur l’herbe nouvelle, s’arrêta de
manger pour poser sa tête contre l’épaule de sa petite maîtresse et se
faire mieux caresser: de temps en temps il inclinait vers elle ses
longues oreilles et les relevait avec des frémissements qui disaient sa
béatitude.
Le silence s’était fait dans l’enclos maintenant fermé, ainsi que dans
les rues désertes du quartier,
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