d’Auxerre qui vous ont dit que vous pouviez remiser là? pourquoi que vous n’allez pas chez Grain de Sel?
-- Je ne connais pas Grain de Sel.
-- Le propriétaire du Champ Guillot, quoi! c’est clos de palissades fermées la nuit; vous n’auriez rien à craindre, on sait que Grain de Sel aurait vite fichu un coup de fusil a ceux qui voudraient entrer la nuit.
-- C’est cher?
-- L’hiver oui, quand tout le monde rapplique à Paris, mais en ce moment je suis sur qu’il ne vous ferait pas payer plus de quarante sous la semaine, et votre ane trouverait sa nourriture dans le clos, surtout s’il aime les chardons.
-- Je crois bien qu’il les aime!
-- Il sera à son affaire; et puis Grain de Sel n’est pas un mauvais homme.
-- C’est son nom, Grain de Sel?
-- On l’appelle comme ?a parce qu’il a toujours soif. C’est un ancien biffin qui a gagné gros dans le chiffon, qu’il n’a quitté que quand il s’est fait écraser un bras, parce qu’un seul bras n’est pas commode pour courir les poubelles; alors il s’est mis à louer son terrain, l’hiver pour remiser les roulottes, l’été à qui il trouve; avec ?a, il a d’autres commerces: il vend des petits chiens de lait.
-- C’est loin d’ici le Champ Guillot?
-- Non, à Charonne; mais je parie que vous ne connaissez seulement pas Charonne?
-- Je ne suis jamais venue à Paris.
-- Eh bien, c’est là.?
Il étendit le bras devant lui dans la direction du nord.
?Une fois que vous avez, passé la barrière, vous tournez, tout de suite à droite, et vous suivez le boulevard le long des fortifications pendant une petite demi-heure; quand vous avez traversé le cours de Vincennes, qui est une large avenue, vous prenez sur la gauche et vous demandez; tout le monde conna?t le Champ Guillot.
-- Je vous remercie; je vais en parler a maman; et même, si vous vouliez rester auprès de Palikare deux minutes, je lui en parlerais tout de suite.
-- Je veux bien; je vas lui demander de m’apprendre le grec.
-- Empêchez-le, je vous prie, de prendre du foin.?
Perrine entra dans la voiture et répéta à sa mère ce que le jeune clown venait de lui dire.
?S’il en est ainsi, il n’y a pas à hésiter, il faut aller à Charonne; mais trouveras-tu ton chemin? Pense que nous serons dans Paris.
-- Il parait que c’est très facile.?
Au moment de sortir elle revint près de sa mère et se pencha vers elle:
?Il y a plusieurs voitures qui ont des baches, on lit dessus: ?Usines de Maraucourt?, et au-dessous le nom: ?Vulfran Paindavoine?; sur les toiles qui couvrent les pièces de vin alignées le long du quai on lit aussi la même inscription.
-- Cela n’a rien d’étonnant.
-- Ce qui est étonnant c’est de voir ces noms si souvent répétés.?
II
Quand Perrine revint prendre sa place auprès de son ane, il s’était enfoncé le nez dans la voiture de foin, et il mangeait tranquillement comme s’il avait été devant un ratelier.
?Vous le laissez manger? s’écria-t-elle.
-- J’vous crois.
-- Et si le charretier se fache?
-- Faudrait pas avec moi.?
Il se mit en posture d’invectiver un adversaire, les poings sur les hanches, la tête renversée.
?Ohé, croquant!?
Mais son concours ne fut pas nécessaire pour défendre Palikare; c’était au tour de la voiture de foin d’être sondée à coups de lance par les employés de l’octroi, et elle allait passer la barrière.
?Maintenant ?a va être à vous; je vous quitte. Au revoir, mam’zelle; si vous voulez jamais avoir de mes nouvelles, demandez Gras Double, tout le monde vous répondra.?
Les employés qui gardent les barrières de Paris sont habitués à voir bien des choses bizarres, cependant celui qui monta dans la voiture photographique eut un mouvement de surprise en trouvant cette jeune femme couchée; et surtout en jetant les yeux ?à et là d’un rapide coup d’oeil qui ne rencontrait partout que la misère.
?Vous n’avez rien à déclarer? demanda-t-il en continuant son examen.
-- Rien.
-- Pas de vin, pas de provisions?
-- Rien.?
Ce mot deux fois répété était d’une exactitude rigoureuse: en dehors du matelas, de deux chaises de paille, d’une petite table, d’un fourneau en terre, d’un appareil et de quelques ustensiles photographiques, il n’y avait rien dans cette voiture: ni malles, ni paniers, ni vêtements.
?C’est bien, vous pouvez entrer.?
La barrière passée, Perrine tourna tout de suite à droite, comme Gras Double lui avait recommandé, conduisant Palikare par la bride. Le boulevard qu’elle suivait longeait le talus des fortifications, et dans l’herbe roussie, poussiéreuse, usée par plaques, des gens étaient couchés qui dormaient sur le dos ou sur le ventre, selon qu’ils étaient plus ou moins aguerris contre le soleil, tandis que d’autres s’étiraient les bras, leur sommeil interrompu, en attendant de le reprendre. Ce qu’elle vit de la physionomie de ceux-là, de leurs têtes ravagées, culottées, hirsutes, de leurs guenilles,
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