En chine | Page 9

Judith Gautier
qu'il proclamait son maître; elles sont plus aisément
traduisibles ayant plus de naturel, de tendresse compatissante,
d'émotion devant les douleurs de l'humanité. Lisez ce poème qui est un
de ses meilleurs:
LE BEAU PALAIS DE JADE
«En faisant mille circuits, le ruisseau court, sous les sapins, entre
lesquels le vent s'allonge.
«Les rats gris s'enfuient vers les vieilles tuiles.

«À quel roi fut ce palais, on ne le sait plus. Le toit, avec les murailles,
au pied de ce rocher à pic, tout est tombé. Les Feux-Esprits, nés du
sang des soldats tués, hantent la ruine. Sur la route détruite, les sources
qui s'écoulent, semblent sangloter des regrets...
«Et du bruit de toutes ces eaux vives, les échos forment une véritable
musique. La couleur de l'automne jette sa douce mélancolie sur toutes
choses.
«Hélas! la beauté de celles, qui, là furent belles, devient maintenant de
la poussière jaune...
«À quoi servit, alors, d'admirer le charme factice du fard et même la
vraie beauté qui s'en ornait, non moins que lui, éphémère!...
«Et ce roi! qu'est devenue la garde fringante qui accompagnait son char
doré!...
«De tant de biens, de tant de créatures, que lui reste-t-il aujourd'hui?...
Rien de plus qu'un cheval de pierre sur son tombeau.
«Une profonde mélancolie me vient; sur la natte que m'offre l'herbe
douce, je m'assieds. Je commence à chanter.... Mes larmes, qui
débordent mouillent mes mains, me suffoquent...
«Hélas, tour à tour, chacun s'avance sur le chemin. Et tous savent
bientôt qu'il ne conduit à rien.»
En voici une de Li-Tai-Pé, intitulée:
JEUNESSE
«L'insouciant jeune homme qui habite sur le chemin des tombes
impériales non loin du Marché d'or de l'est, sort de sa demeure au pas
cadencé de son cheval blanc sellé d'argent. Puis il le lance au galop à
travers le vent printanier.
«Sous les sabots, c'est comme un éclaboussement de pétales, car les
fleurs tombées forment partout un épais tapis. Il ralentit sa course,

indécis... Où irais-je? Où donc m'arrêter?...
«Un rire clair et léger, un rire de femme lui répond d'un bosquet voisin.
«Voilà qui le décide: c'est à ce cabaret qu'il s'arrêtera.»
De tous temps, les poètes chinois ont uni la poésie à la musique, et ont
chanté leurs vers.
Ils les chantent encore, et très probablement sur les mélopées
d'autrefois!

CHAPITRE VI
L'ART DRAMATIQUE
C'est au XIIIe siècle, sous la dynastie tartare des Yuen, qu'un empereur
ordonna de rechercher toutes les pièces de théâtre écrites dans les
siècles précédents, de choisir les meilleures, et de les réunir. C'est alors
que fût formé le célèbre recueil intitulé «Yuen-Jen-Pé-Tohon.» «Cent
pièces de théâtre publiées sous les Yuen.» C'est là le plus beau
monument de la littérature dramatique des Chinois, et il alimente
aujourd'hui encore le répertoire moderne.
Tous les genres sont représentés dans ce recueil: la tragédie historique,
le drame domestique, les pièces mythologiques et féeriques, la comédie
de caractères ou de moeurs, les drames judiciaires, les drames religieux.
Ces pièces sont divisées, généralement, en quatre parties ou actes,
précédés souvent d'un court prologue. Le texte n'est pas partagé en
scènes, mais les entrées et les sorties des personnages sont indiquées
par ces mots--il monte--il descend; les apartés sont marqués par cette
phrase: Parler en tournant le dos--les parties chantées sont gravées en
caractères plus gros que ceux du dialogue parlé. Dans la rédaction de
ces pièces, tous les styles, tous les langages sont employés selon le
sujet. Il y a le langage historique, le langage poétique ou lyrique, le
style pompeux, grave ou familier.

La plupart de ces drames et de ces comédies contiennent des beautés de
premier ordre, mais elles ont, presque toutes, à notre point de vue, un
défaut de composition, qui pourrait bien être une règle, tant il se
retrouve fréquemment dans les pièces chinoises: c'est d'être partagées
en deux. Dans le premier acte, l'intrigue et le crime triomphent, dans les
derniers s'accomplissent les vengeances et les châtiments. Les héros du
commencement sont devenus vieux, leur fils, quelquefois leurs
petits-fils, qu'on a vus enfants aux premiers actes, ou qui n'étaient pas
encore nés, sont des hommes et prennent en main les fils de l'intrigue
qu'ils débrouillent, pour remettre les choses à peu près en l'état où elles
étaient au commencement de la pièce. Ce système a l'inconvénient de
partager l'intérêt; le jeune homme, tardivement présenté aux spectateurs,
n'a pas toujours le temps d'attirer les sympathies.
Le métier des comédiens est très rude, en Chine; ils sont les véritables
esclaves du directeur de la troupe qui les mène durement, et leur laisse
peu de loisirs. Ils ont chacun leur emploi; il y a: le Tchin-Mo, premier
rôle; le Siao-Mo, jeune homme; le Ouai, dignitaire; le Pai-lo, vieux
père; le Tchen, personnage comique. Mais quand la troupe est peu
nombreuse, ils sont tenus à jouer deux et trois rôles dans la
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