son fils sur le seuil du
pavillon des Livres, et lui dit:
«Mon cher Khong-Li, êtes-vous bien avancé dans l'étude de la poésie?»
Avec un certain dédain, l'adolescent répondit:
«Je ne m'y adonne pas, mon père.»
«Vous avez tort, mon fils. Si vous n'apprenez pas la poésie, si vous ne
vous exercez pas à faire des vers, dussiez-vous ne devenir qu'un
médiocre poète, vous ne connaîtrez jamais complètement votre langue,
vous ne saurez pas bien parler.»
Confucius, lui, était poète. En Chine, la poésie semble aussi ancienne
que la Chine elle-même, et comme cela arrive presque toujours, le
premier de ses poètes, ce fut le peuple. Il chantait les vertus de ses
souverains, leurs exploits, leurs fêtes, il les blâmait aussi quelquefois, et
dirigeait contre eux de vives épigrammes. De leur côté, les empereurs
répondaient par des exhortations, composaient des hymnes, des chants
de guerre, des élégies. Un grand nombre de ces poèmes primitifs ont
été rassemblés et sauvés de l'oubli par Confucius, qui les a classés et en
a formé le recueil si célèbre, intitulé «Le Che-King livre des vers.»
Dans la grande préface de ce recueil, le Maître dit: «Les poésies
naissent des pensées, des sentiments que l'on éprouve en soi-même et
qui se produisent au dehors;» et Tchou-Hi, un illustre commentateur du
Che-King, ajoute: «Du jour où l'homme est né, il a exercé son jugement,
il a regardé ce qui se passait autour de lui. Cette faculté lui vient du ciel.
Il a essayé alors d'exprimer par des paroles, par des interjections, par
des chants, ce qu'il éprouvait, sans pouvoir encore exprimer tous ses
sentiments.»
La première partie du Che-King, la plus ancienne, est intitulée: «Les
Souffles du Royaume» (Koua-Fan). Ce titre indique bien que ces
poèmes anonymes sont l'oeuvre du génie populaire, les souffles de
l'âme de tous.
La versification, cependant, avait déjà en ces temps reculés, une forme
compliquée, concise, allégorique, qui différait peu de la forme actuelle.
L'art poétique était divisé en plusieurs genres: le genre simple ou direct,
dans lequel on exposait simplement la pensée, le genre métaphorique,
le genre noble ou élevé, Quelquefois, on mélangeait deux de ces
modes.
Les onomatopées sont très fréquentes dans les vers du Che-King, il
semble que ces harmonies imitatives charmaient tout particulièrement
les poètes d'autrefois.
Voici l'énoncé d'une de ces strophes:
Kin-tchi Yin-Yin Tou-Tchi Song-Song Tcho-Tchi Pong-Pong Sio-Liu
Ping-Ping
Sur les seize mots, qui composent ce quatrain, huit ne signifient rien; il
reste donc peu de chose pour exprimer la pensée de l'auteur, mais ce
qui reste suffit au poète chinois. Voici le sens de ces vers:
«On apporte les matériaux: Yin-Yin. Les charpentiers taillent:
Song-Song. Les menuisiers clouent: Pong-Pong. On construit la
palissade: Ping-Ping.»
Les Chinois ont l'habitude de dire: «L'arbre de la poésie prit racine au
temps du Che-King, ses bourgeons parurent avec Le-Ling, et Sou-Vou
qui vivaient sous l'empereur Vou-Ti (140 ans avant notre ère). Ses
feuilles poussèrent en abondance sous le règne des Han et des Ouei,
mais il était réservé à la dynastie des Tang de voir ses fleurs, et de
goûter ses fruits.»
C'est, en effet, sous les Tang que vécurent Li-Tai-Pé et Thou-Fou, les
deux plus grands poètes qu'ait eu la Chine. Les Tang régnèrent de l'an
618 à l'an 909 de notre ère. Li-Tai-Pé naquit en 702 et Thou-Fou en
714. Il y a donc plus de onze cents ans que les deux poètes jouissent en
Chine d'une popularité incomparable que le temps n'a fait qu'accroître.
Dans ses vers, Li-Tai-Pé a une forme originale et brève, un style coloré
aux images rares et choisies, plein d'allusions, de sous-entendus et
souvent d'ironie; ce poète aimait le vin et s'enivrait fréquemment, mais
il abrite souvent derrière le paravent de l'ivresse de graves
manquements à l'étiquette dont les courtisans s'offensaient.
Thou-Fou est considéré comme l'égal de Li-Tai-Pé, sans que les
Chinois aient osé décider lequel surpasse l'autre: «Lorsque deux aigles
ont pris leur essor, disent-ils, et s'élèvent à perte de vue, qui donc
pourrait reconnaître lequel des deux a volé le plus près du ciel?»
Thou-Fou naquit à King-Tcheou, dans la province de Chen-Si
(montagne occidentale); ses parents étaient fort pauvres, mais
remarquant chez leur fils une intelligence peu commune, ils
l'envoyèrent néanmoins aux écoles. Thou-Fou obtint le grade de
bachelier, puis celui de licencié, puis il échoua au doctorat. Il ne
s'obstina pas à courir une seconde fois la chance du concours, et se
laissa aller à la passion qui l'entraînait vers la poésie.
L'envergure de son esprit lui permit d'embrasser tous les genres à la fois:
«Il fut,» disent les Chinois, «éloquent, sublime, délicat, brillant.» Il
aimait la nature par dessus tout, et son plus grand bonheur était de la
chanter. Avec moins d'étrangeté, moins d'imprévus, les poésies de
Thou-Fou sont presque aussi pittoresques que celles de Li-Tai-Pé, le
grand ami
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