palais délicat, est remonté avec du trois-six qui en fait une boisson aussi malsaine que désagréable. Et pourtant le soleil africain est l'amant de la vigne; sous ses baisers ardents, elle s'épanouit, devient féconde, et se couvre de magnifiques grappes blondes ou vermeilles. A Médéah, j'ai dégusté d'excellents échantillons de vins blancs ou rouges. L'Algérie, les plateaux du littoral surtout, peuvent produire une grande richesse vinicole: il ne faut pour cela que de bons vignerons.
Nous remontons en voiture, et bient?t nous arrivons au milieu d'admirables cultures. Ce n'est pas la charrue arabe qui a ouvert des sillons profonds dans cette terre brunie par des détritus séculaires. Le laboureur indigène effleure avec un soc trop court la surface du sol. S'il rencontre un de ces pieds de palmier nain qui sont la vermine de la Mitidja, il ne l'arrache point, mais tourne à l'entour avec son chétif attelage de deux boeufs maigres: en sorte qu'un champ arabe est un fouillis de mauvaises herbes au milieu desquelles le blé est parcimonieusement semé. Ici, de ces cultures qui vous transportent tout d'un coup dans la Beauce ou la Flandre, s'élève, avec l'encens de l'humus, un hymne sacré à la Cérès africaine dont la mamelle inépuisable nourrissait jadis les conquérants du monde. Dans vingt ans, dans dix ans, si la France ne dédaigne pas, comme aujourd'hui, d'attacher ses lèvres à cette généreuse mamelle, elle y puisera non seulement plus de force et de bien-être pour elle-même, mais elle pourra encore par surcro?t nourrir ses amis les Anglais. Ils se dépiteront peut-être de manger le pain fran?ais; mais en apprécieront-ils moins la saveur?
Des gar?ons et des filles aux yeux bleus, aux cheveux de filasse, la bêche ou le rateau sur l'épaule, sortent d'un vaste batiment à gauche de la route: les gens de la ferme de l'Oued Corso. Ils sont de pure race germanique. Ils vont au travail en chantant de vieux lieder de la Westphalie ou de la Thuringe. Parfois sans doute leur regard se tourne humide vers le clocher natal, sous lequel achève de vivre pauvrement le grand-père ou l'a?eule; mais, s'ils n'étaient pas heureux dans leur nouvelle patrie, chanteraient-ils?
Nous arrivons au col des Beni-A?cha. En face de nous, à l'horizon, se dresse un gigantesque bloc de pierre d'un bleu foncé, presque noir, et qui se découpe sur le ciel en arêtes verticales. Sa masse imposante et sombre est ornée d'un collier de neige qui resplendit au soleil. Salut au Djurjura! Salut à la république kabyle! Par ce col ont passé les cohortes de Rome, les Vandales de Genséric, les Arabes de la première et de la deuxième invasion, les seffras de janissaires turcs. Tous se flattaient d'imposer leur joug aux épaules berbères. Mais le fier génie de l'indépendance qui, du haut de ces pics, défiait tous les conquérants, ne devait succomber qu'en 1857, sous les coups redoublés de la France et au bout de vingt ans de combats héro?ques.
Dans la nuit du 17 au 18 mai 1837, huit jours après l'attaque de la Regha?a par les Kabyles, nos soldats pénétrèrent pour la première fois sur leur territoire par le col des Beni-A?cha. Ils trouvèrent là, parmi les ruines romaines du Bas-Empire, une inscription tronquée exprimant ce voeu prophétique: ?Puisses-tu, ? Christ! posséder avec les tiens le pays que nous voyons!?
Nous traversons l'Oued Isser, puis l'Oued Djema qui sillonnent une plaine ondulée, très-fertile, où les cultures abondent. D'ici au pied du Djurjura et même jusqu'à sa cime, nos yeux ne seront plus attristés par ces grandes landes abandonnées au palmier nain ou à la broussaille, qui nous donnaient un avant-go?t du désert aux portes mêmes d'Alger. Plus on avance en pays kabyle, et plus ou rencontre de terres labourées. Les moissons ne sont pas beaucoup plus riches qu'en pays arabe, les épis sont maigres et rares; des herbes parasites, parmi lesquelles pullulent les pieds-d'alouette, dévorent les meilleurs sucs de ces sillons qu'ouvrit un soc trop court, et où le grain fut semé d'une main trop avare. Mais ici du moins la terre n'est pas délaissée comme dans la zone d'Alger, où les colons n'ont pas remplacé les indigènes qui reculèrent vers le sud devant l'invasion fran?aise. Les terrains incultes que nous apercevons ?à et là ne sont que des champs en jachère. Le Kabyle, comme l'Arabe, épuise le sillon qui le nourrit; il ne lui apporte que peu ou point d'engrais, laissant à la nature le soin de refaire le sol appauvri par une ou plusieurs récoltes. Mais ce n'est pas de sa part indifférence ou paresse: le bétail est rare en Kabylie, où l'herbe et le fourrage n'abondent pas. Donc, peu de fumier; ce qu'il y en a est nécessaire aux oliviers et aux figuiers, dont la racine ne trouve souvent sur le rocher qu'une mince couche végétale, insuffisante pour vivre. Le
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