fossé a dit: C'était écrit! le bourrico l'a pensé, et voilà pourquoi la grosse bête est remontée sur la petite, tandis que celle-ci reprenait le haut du pavé. C'est le fond de l'islamisme et de toutes les doctrines politiques, religieuses ou sociales qui reposent sur le dogme de l'immuable. Pour le général de l'ordre de Loyola, l'ame de tous les complots tramés contre la raison, comme pour le Khalifa des Moule?-Ta?eb qui, dans sa petite ville d'Ouazan, au Maroc, tient le fil de toutes les conspirations africaines contre le progrès apporté par la France, cet Arabe et son bourrico atteignent à la perfection divine et terrestre.
--Tais-toi! Conscrit, fit le Général en riant, et regarde! Voici mes beaux palmiers du jardin d'Essai! Ah! qu'ils me donnent envie d'être au Désert! mais quel dommage qu'il faille quitter ma chère Méditerranée! Si j'étais fée, j'emporterais à Paris, d'abord cette mer bleue, puis cette lumière éblouissante, la fête de l'ame comme celle des yeux; enfin ces palmiers, et encore ces superbes orangers chargés à la fois de fruits d'or et de fleurs odorantes.
--Est-ce tout? demandai-je.
--Non, non, j'emporterais aussi cet air doux comme une caresse d'enfant, ces grands rochers qui se dressent là-bas devant nous, et dont les crêtes aigu?s et neigeuses resplendissent au soleil comme des lances d'argent.
--Le Djurjura! nous n'en sommes plus qu'à trente-neuf lieues, Madame, et nous y arriverons demain soir.
--Quel bonheur! s'écria-t-elle en frappant des mains.
Pauvre Alger! déjà cette belle inconstante ne te regrettait plus.
Nous laissons à droite et à gauche des jardins légumiers et des bananeries que protège contre la main des maraudeurs et le souffle salé de la mer une haie impénétrable de cactus monstrueux: les figuiers de Barbarie dont les épines acérées gardent en outre leurs propres fruits, fort prisés des Arabes. Près du ruisseau A?n-el-Abiad [La fontaine blanche.], nous apercevons, à moitié ensevelie dans les sables de la mer, la Koubba de Sidi-Belal. Ce marabout, vénéré des nègres d'Alger, pourrait bien n'être que le dieu Bélus ou Baal, dont le culte fut importé par les Phéniciens dans le Soudan. Les cérémonies religieuses de ces noirs enfants, qui se piquent d'être aussi bons musulmans que les Arabes ou les Maures, ont conservé un caractère tout pa?en. A Alger, vers la fin de mars, nous avions assisté, dans une maison de nègres, à des sacrifices sanglants. Nous y v?mes immoler des poulets, des moutons, un boeuf par des sacrificateurs d'ébène. Une grande prêtresse, plus noire que l'enfer, rendait, d'un air très-majestueux, des oracles tirés du sang fumant des victimes. Le mercredi de chaque semaine, sur la plage de Saint-Eugène, hors la porte de Bab-el-Oued, à la Seba-A?oun [Les sept fontaines.], les Mauresques galantes, toutes celles qui ont à se plaindre d'un mari ou à se faire aimer d'un amant, viennent demander des conseils, des augures et des philtres aux Guezzanates [Négresses sorcières.]: c'est un carnage de poulets algériens. Mais vienne le temps où la fève commence à noircir, un effroyable vacarme éclate dans la haute ville, aux abords de la Kasba [Citadelle.]. Bient?t, par groupes de cinq ou six, les fils de Cham à la peau de suie descendent dans la ville basse, en dansant sur une musique assourdissante, la Derdeba. Ils la font avec des tambours, des tamtams et des _Karakobs,_ énormes castagnettes en fer, plus pesantes qu'un boulet de vingt-quatre. Cette danse et cette musique en plein air durent plusieurs jours et du matin au soir. Quels poignets! et quelles jambes!
Ces bons diables montrent toutes leurs dents à chaque sou qu'on leur donne, mais ils ne tendent point la main. Cet argent fera les frais de l'_a?d-el-foul,_ la fête des fèves. Ils viendront la célébrer à la Koubba de Sidi-Belal, le premier mercredi du Nissam, printemps des nègres. Ce jour-là, sacrifices sanglants au bord de la mer, danses frénétiques, régal et orgie: toute la population noire se pare, mange, crie, gesticule, se démène et s'amuse vingt-quatre heures durant et pour tout le reste de l'année. Ce sont, la plupart, de très-braves gens, sobres, laborieux et paisibles qui n'ont que rarement maille à partir avec la police.
Malgré leur peau de suie, madame Elvire les préférait de beaucoup aux Arabes d'Alger, paresseux, sordides et filous, aux Maures à la face blafarde, aux Koulourlis, fils étiolés des Turcs et des Mauresques, et même aux Juifs industrieux, qui ont l'art de s'enrichir où tant d'autres s'appauvrissent et possèdent aujourd'hui la moitié de la ville. Elle n'aimait guère non plus les Mzabis ou Mozabites, gens au nez pointu, à la lèvre mince, fanatiques, remuants et perfides, venus du Mzab sous le méridien, pour gagner l'argent du Roumi en attendant qu'ils pussent lui couper la gorge. Mais ceux qui avaient su gagner toute sa sympathie, c'étaient le Biskris et surtout les Kabyles, que la misère chasse, les premiers, des oasis du Ziban, les
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