les 1.500 francs manquants furent restitués à la caisse d'habillement. Il n'est pourtant pas clément coutumier, le conseil de guerre, et devant lui, sans ménagement, sans indulgence, on traduit les moindres délinquants pour de simples peccadilles. Les infractions considérées comme légères dans le civil sont, au régiment, jugées et punies comme des crimes dignes de la fusillade ou du boulet. C'est qu'en réalité il n'y avait, dans cette affaire, ni détournement véritable, ni responsabilité personnelle, pour le lieutenant Fran?ois Zola. Il y eut simplement une aventure d'amour, une imprudence aussi de jeune homme épris, une folie passionnelle, si l'on veut, mais nullement le vol et l'intention de voler, que la passion politique a voulu, par la suite, établir.
Fran?ois Zola, et en cela, assurément, il avait tort,--mais qui donc, militaire ou civil, oserait lui jeter la première pierre?--avait une intrigue avec la femme d'un ancien sous-officier réformé, nommé Fischer. Un beau jour, ce Fischer résolut de quitter l'Algérie, emmenant sa femme. Un drame intime dut alors dérouler ses péripéties, sur lesquelles nous n'avons pas de renseignements certains. Il est probable que Fran?ois, très amoureux, supplia sa ma?tresse de laisser partir son mari, et de rester. La dame refusa. Elle essaya, au contraire, de décider son amant à la suivre en France. Ce n'était pas la désertion, si le lieutenant donnait, préalablement, sa démission. Mais comme il ne se décidait pas à abandonner l'épaulette, le couple Fischer, sans lui, s'embarqua.
Désespéré, Fran?ois Zola voulut se jeter à la mer. On aper?ut ses vêtements épars sur le rivage, on courut après lui et on l'empêcha de réaliser son tragique projet. Quelques mots, dans son trouble, lui échappèrent, sur la disparition du ménage Fischer. Des soup?ons s'éveillèrent. On rejoignit le couple suspect, à bord du bateau, où déjà se trouvaient embarqués les bagages. On fouilla les malles, et, dans l'une d'elles, on découvrit une somme de quatre mille francs dont les Fischer durent expliquer la provenance. Ce qu'ils firent, non sans hésitation.
Une lettre du duc de Rovigo, adressée au ministre de la Guerre, pour tenir lieu de rapport sur cette affaire, explique très nettement la situation alors révélée:
... On visita le batiment sur lequel étaient Fischer et sa femme. On découvrit une somme de quatre mille francs dans une de leurs malles. Ils prétendirent d'abord qu'elle leur appartenait, puis ils avouèrent que 1.500 francs y avaient été déposés par Fran?ois Zola. Ils furent débarqués et conduits en prison...
Les accusations portées par le colonel Combe contre son subordonné, et publiées par le Petit Journal, perdaient donc ainsi beaucoup de leur gravité. émile Zola, après avoir compulsé le dossier de son père, au ministère de la Guerre, constata que plusieurs pièces, indiquées comme cotées, et sans doute importantes pour la défense, pouvant atténuer ou même anéantir la culpabilité présumée, manquaient, tandis que toutes celles pouvant servir à l'accusation avaient été laissées. Une mention, sur le bordereau, indiquait que ?huit pièces, jointes à la lettre du colonel Combe, devaient être restées au bureau de la justice militaire?. Cette mention, sur la chemise du bordereau, était de la main de M. Hennet, archiviste. Une autre mention, d'une autre main et au crayon, était ainsi libellée: ?Il n'existe pas de dossier au bureau de la justice militaire. On s'en est assuré.? On avait donc compulsé, vérifié, et, qui sait? expurgé le dossier.
émile Zola, qui fit, dans _l'Aurore_, une vigoureuse défense de la mémoire de son père, concluait de cette annotation que le dossier avait été fouillé et travaillé.
Il protesta contre la publication de ce dossier incomplet. Il reprocha, en même temps, au Petit Journal d'avoir donné la lettre accusatrice du colonel Combe, tronquée, sans le passage suivant, à dessein sauté:
Le sieur Fischer (le mari), portait le document original, s'est offert à acquitter, pour Fran?ois Zola, le montant des dettes au paiement desquelles les 4.000 francs saisis dans la malle ne suffiraient pas. Cette offre acceptée, tous les créanciers ont pu être payés et le conseil d'administration a été couvert du déficit existant en magasin.
Pourquoi, en mettant sous les yeux du public la lettre du colonel Combe parlant du déficit constaté dans la caisse du magasin, a-t-on supprimé cette phrase si importante? Elle explique nettement la situation: Fischer, assurément d'accord avec sa femme, avait emporté, en s'embarquant, l'argent de Fran?ois Zola, l'argent de la caisse du magasin d'habillement. L'officier, sans volonté, tout désemparé, étant amoureux et voyant s'éloigner pour toujours sa ma?tresse, avait eu, un instant, l'intention coupable d'abandonner son régiment, de déserter, pour suivre celle qui l'aimait. Ces entra?nements sont fréquents et ces coups de folie, s'ils sont condamnables, ont, du moins, l'excuse, presque toujours, de l'aberration causée par la passion. Mais il se reprit. Il envisagea la réalité et la gravité de son acte. Non seulement il désertait, mais il laissait cette femme faire de lui un voleur! Il
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