des délits. Bien des choses blamables et inadmissibles, en Europe, se comprennent et se pratiquent, sous le gourbi et dans le voisinage du désert. Fran?ois Zola, devenu lieutenant, fut compromis dans une facheuse affaire, qui, à l'endroit, à l'époque et dans les circonstances où elle se produisit, n'avait nullement l'importance que la passion politique voulut lui attribuer par la suite.
Aux polémiques violentes que suscita l'affaire Dreyfus, le nom du père de l'auteur de _J'accuse_ fut mêlé. La fureur des partis exhuma son cadavre. On fouilla cette tombe, depuis un demi-siècle fermée. On en arracha une dépouille, jusque-là vénérée des proches, respectée des indifférents, pour la piétiner, devant une galerie féroce ou gouailleuse, sous les yeux exaspérés du fils. De toutes les situations angoisseuses, qui ont pu être décrites par émile Zola dans ses ouvrages, celle-ci, n'est-elle pas la plus atroce et la plus cruelle? Avoir non seulement aimé, mais estimé son père, l'avoir placé très haut sur un piédestal, et s'être ressenti très fier d'être issu de lui, de porter, de glorifier son nom, et, à défaut d'autre héritage, recueillir la succession de renom et d'honorabilité, par lui laissée, puis voir tout à coup la statue idéale abattue sur le socle saccagé, le nom flétri, la renommée barbouillée d'infamie, n'est-ce pas là un supplice digne des tribus du Far-West, où, sous les yeux, de la mère, on martyrise le corps exsangue de l'enfant, attaché au poteau de douleurs? Zola endura cette torture avec sa robuste et patiente énergie. Il lutta contre les violateurs de sépulture, il défendit, comme l'héro?ne biblique, le cadavre de l'être chéri contre les attaques furieuses des journalistes de proie. Il écarta les becs de plumes qui déchiraient cette chair morte.
On a peine à comprendre, à distance, la flamme des polémiques s'étant éteinte, l'acharnement que mirent certains vautours de la presse à se ruer sur ce mort et, à le dépecer en poussant des cris sauvages.
Voici les faits qui fournirent la pature à ces rapaces nécrophages. Je les résume, d'après les documents du temps, et les pièces originales qui furent alors reproduites:
Au mois d'avril 1898, un journal de Bruxelles, le Patriote, publiait, dans une correspondance de Paris, les lignes comminatoires suivantes:
... On se demande ce qu'attend le général de Boisdeffre peur écraser d'un seul coup ses adversaires, qui sont en même temps les ennemis de l'armée et de la France. Il lui suffirait, pour cela, de sortir, dès aujourd'hui, une des nombreuses preuves que l'Etat-major possède de la culpabilité de Dreyfus, _ou même de publier quelques-uns des nombreux dossiers_ qui existent, soit au service des renseignements, soit aux archives de la guerre, sur plusieurs des plus notoires apologistes du tra?tre, _ou sur leur parenté_...
Les journaux et les hommes politiques, convaincus de la culpabilité du capitaine Dreyfus, ou fortement prévenus contre lui, étaient parfaitement fondés à réclamer que l'état-major m?t sous les yeux de la Chambre et du public les preuves de la trahison, qui pouvaient exister dans les dossiers. Il était admis, dans le tumulte des furibondes polémiques, que, comme dans d'autres affaires scandaleuses, on e?t recours de part et d'autre au perfide et méprisable procédé des ?petits papiers?. Dans l'ivresse de la mêlée, on a, chez tous les partis, et de tous les temps, usé de ces armes empoisonnées. Pour toucher un adversaire et le mettre hors de combat, on cherche à le déshonorer. Mais ce combat sans merci a lieu, d'ordinaire, entre vivants. On laisse les morts dans leur suaire, et l'on répugne à les démaillotter. L'acharnement inou? de la lutte, entre accusateurs et défenseurs de Dreyfus, fit un champ-clos d'une tombe éventrée, et, pour atteindre le fils, on tapa sur le squelette du père.
La menace du Patriote de Bruxelles, reproduite par divers journaux parisiens, mit-elle sur la piste d'un scandale nouveau? Suggéra-t-elle, à quelque personnage rude et impitoyable de l'état-major, l'idée de confier à la presse un document compromettant pour ?la parenté? d'un des plus notoires dreyfusards? On ne sait, mais, quelques semaines plus tard, le Petit Journal publiait une lettre d'un colonel Combe, ayant eu sous ses ordres, en Algérie, le lieutenant Fran?ois Zola, et où celui-ci était accusé d'avoir détourné l'argent de sa caisse d'habillement et d'avoir déserté, en laissant des dettes.
Il y avait des faits exacts dans cette accusation, mais ils étaient grossis. La gravité du détournement dont se trouvait inculpé Fran?ois Zola était atténuée par ce fait que, s'il y avait eu déficit dans les comptes du magasin d'habillement, dont il avait la charge, aucune poursuite judiciaire n'avait suivi cette constatation. Fran?ois Zola avait remboursé le déficit relevé, et il était inexact qu'il e?t déserté.
On pourrait s'étonner de la mansuétude du conseil de guerre, ou plut?t de son inaction, car Fran?ois Zola fut l'objet, non pas d'un renvoi devant la juridiction militaire, mais d'une simple enquête, au cours de laquelle
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