la raconter, plus profond et plus sagace philosophe pour l'analyser.
Zola n'a, cependant, jamais possédé ce qu'on appelle le parisianisme. Il n'avait ni l'esprit gouailleur et sceptique du Parisien d'en bas, ni les go?ts d'élégance et les vaines préoccupations des classes hautes. Il ne fut jamais un ?homme du monde?, ni ne chercha à l'être. Il ne prétendit pas avoir de l'esprit, dans le sens de la blague et des mots dr?les ou rosses. Il avait l'horreur du persiflage. Il se montra, à diverses reprises, polémiste violent, redoutable, et, à la fin de sa carrière, agitateur de foules et plus que tribun, sans qu'on puisse citer de lui ce qu'on appelle un ?mot? ou une de ces plaisanteries qui blessent mortellement l'adversaire et font rire la galerie. Il fut tout à fait l'opposé d'un autre polémiste, également remueur de foules, Henri Rochefort, avec qui il n'eut de commun que l'horreur des cohues et l'impossibilité de prononcer deux phrases en public. Fuyant les réceptions, déclinant les invitations, s'abstenant des cérémonies, il se confina dans son intérieur, en compagnie de quelques intimes. Chargé de la critique dramatique, pendant deux années, au Bien Public, il se glissait, inaper?u, dans la chambrée familière des premières. Encore, bien souvent, négligeait-il d'assister à la représentation. Il me priait de parler, à sa place, de la pièce et des artistes, sous une des rubriques de la partie littéraire du Bien Public, dont j'étais alors chargé. Il consacrait son feuilleton à l'examen de quelques thèses dramatiques, ou à l'exposé de ses théories sur l'art théatral. A Batignolles, comme à Médan, son existence fut celle d'un savant provincial.
On put le croire indifférent à tout ce qui n'était pas la littérature, ou plut?t sa littérature. Il se concentrait dans la gestation permanente de l'épopée moderne qu'il avait con?ue. En dehors des livres, des journaux, des documents, qu'il jugeait utiles à l'élaboration de son ?histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire?, il ne lisait guère, et ne s'informait qu'en passant des événements et des ouvrages du jour. Il éliminait de sa fréquentation cérébrale tout ce qui lui paraissait étranger à ses personnages. Il recevait quelques amis, presque toujours les mêmes, mais avec eux l'entretien se concentrait, revenait à l'unique objectif de sa pensée. Il fut comme un alchimiste du treizième siècle, penché sur son alambic, absorbé dans la préparation du Grand-oeuvre. étranger à toutes manigances politiques, il était vaguement étiqueté républicain. On lui supposait des tendances réactionnaires, d'après _l'Assommoir_, qui avait paru calomnieux à l'égard des travailleurs. Il témoignait ouvertement d'une indifférence apathique et dédaigneuse pour tout ce qui se passait dans le monde gouvernemental, électoral, et même littéraire. D'allures paisibles, grave, méditatif, myope, braquant son pince-nez, avec attention, sur les hommes et sur les choses, visiblement absorbé par sa besogne en train, ne fréquentant aucun politicien, ayant l'effroi des réunions publiques, fuyant les bavardages se rapportant aux événements quotidiens, il semblait ne jamais devoir participer ni même s'intéresser à une agitation populaire. Il manifestait bien, dans plusieurs de ses livres, des instincts combatifs, des tendances humanitaires, et des critiques vives des fatalités et des conditions sociales dans lesquelles il se mouvait avec ses personnages, mais, jusqu'en ses dernières années, il ne f?t venu à l'idée de personne d'imaginer un émile Zola, imprévu, se dressant, comme un Pierre l'Ermite, et prêchant, avec une hardiesse inattendue et une énergie insoup?onnée, une croisade la?que et révolutionnaire, au nom de ce qu'il proclamait, et de ce qu'il croyait être la Vérité en marche et la Justice debout. Ce fut comme l'explosion d'un volcan, jusque-là inaper?u. Le cratère se fendit, au milieu d'un grondement orageux, avec des gerbes éblouissantes et fuligineuses, tour à tour jaillissant. Puis des scories noires retombèrent avec de la cendre pleuvant sur tout un pays. Ainsi, la lave de _J'Accuse!_ coula sur la place publique.
Au milieu de l'effarement des uns, de l'acclamation des autres, des huées et des ovations, le littérateur si doux, si effacé, si timide, sortait de son cabinet laborieux et calme, bondissait au centre d'une mêlée et lan?ait à la multitude soulevée, à des adversaires exaspérés, un de ces appels irrésistibles, tocsins de révolutions qui ébranlent les sociétés sur leurs bases, et laissent, pour de longues années, dans les airs une vibration déchirante, dans les poitrines une palpitation comparable à la houle des mers.
Ce n'était pas l'enfant né à Paris, par hasard, qui se produisait ainsi, avec cette passion d'ap?tre, avec cette fièvre de tribun, avec cette témérité d'insurgé: c'était le Méridional, le Ligurien, préparé à la lutte et fa?onné au danger, le compatriote de Mirabeau, de Barbaroux et des preneurs d'assaut des Tuileries, qui surgissait, se faisait place, entra?nait la foule et ouvrait une ère de révolution. Le Midi se révélait tout entier dans l'un de ses fils les mieux doués. Le Midi silencieux.
Physiquement, Zola
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