cela? Je n'ai plus qu'un amour sur la terre, et c'est
vous!
--A présent, se dit Laurent en quittant précipitamment la petite rue
déserte et en revenant sur la chaussée bruyante des Champs-Elysées,
me voilà bien tranquille. Elle a un amant! Au fait, elle n'était pas
obligée de me confier cela!... Seulement, elle n'était pas obligée de
parler en toute occasion de manière à me faire croire qu'elle n'était et ne
voulait être à personne. C'est une femme comme les autres: le besoin de
mentir avant tout. Qu'est-ce que ça me fait? Je ne l'aurais pourtant pas
cru! Et même il faut bien que j'aie eu la tête un peu montée pour elle
sans me l'avouer, puisque j'étais là aux écoutes, faisant le plus lâche des
métiers, quand ce n'est pas un métier de jaloux! Je ne peux pas m'en
repentir beaucoup: cela me sauve d'une grande misère et d'une grande
duperie: celle de désirer une femme qui n'a rien de plus désirable que
toute autre, pas même la sincérité.
Laurent arrêta une voiture qui passait vide et alla à Montmorency. Il se
promettait d'y passer huit jours et de ne pas remettre les pieds chez
Thérèse avant quinze. Cependant, il ne resta que quarante-huit heures à
la campagne et se trouva le troisième soir à la porte de Thérèse, juste en
même temps que M. Richard Palmer.
--Oh! dit l'Américain en lui tendant la main, je suis content de voir
vous!
Laurent ne put se dispenser de tendre aussi la main; mais il ne put
s'empêcher de demander à M. Palmer pourquoi il était si content de le
voir.
L'étranger ne fit aucune attention au ton passablement impertinent de
l'artiste.
--Je suis content parce que j'aime vous, reprit-il avec une cordialité
irrésistible, et j'aime vous, parce que j'admire vous beaucoup!
--Comment! vous voilà? dit Thérèse étonnée à Laurent. Je ne comptais
plus sur vous ce soir.
Et il sembla au jeune homme qu'il y avait un accent de froideur inusité
dans ces simples paroles.
--Ah! lui répondit-il tout bas, vous en eussiez pris facilement votre parti,
et je crois que je viens troubler un délicieux tête-à-tête.
--C'est d'autant plus cruel à vous, reprit-elle sur le même ton enjoué,
que vous sembliez vouloir me le ménager.
--Vous y comptiez, puisque vous ne l'aviez pas décommandé! Dois-je
m'en aller?
--Non, restez. Je me résigne à vous supporter.
L'Américain, après avoir salué Thérèse, avait ouvert son portefeuille et
cherché une lettre qu'il était chargé de lui remettre. Thérèse parcourut
cette lettre d'un air impassible, sans faire la moindre réflexion.
--Si voulez répondre, dit Palmer, j'ai une occasion pour La Havane.
--Merci, répondit Thérèse en ouvrant le tiroir d'un petit meuble qui était
sous sa main, je ne répondrai pas.
Laurent, qui suivait tous ses mouvements, la vit mettre cette lettre avec
plusieurs autres, dont l'une, par la forme et la suscription, lui sauta pour
ainsi dire aux yeux. C'était celle qu'il avait écrite à Thérèse
l'avant-veille. Je ne sais pourquoi il fut choqué intérieurement de voir
cette lettre en compagnie de celle que venait de remettre M. Palmer.
--Elle me laisse là, dit-il, pêle-mêle avec ses amants évincés. Je n'ai
pourtant pas droit à cet honneur. Je ne lui ai jamais parlé d'amour.
Thérèse se mit à parler du portrait de M. Palmer. Laurent se fit prier,
épiant les moindres regards et les moindres inflexions de voix de ses
interlocuteurs, et s'imaginant à chaque instant découvrir en eux une
crainte secrète de le voir céder; mais leur insistance était de si bonne foi,
qu'il s'apaisa et se reprocha ses soupçons. Si Thérèse avait des relations
avec cet étranger, libre et seule comme elle vivait, ne paraissant devoir
rien à personne, et ne s'occupant jamais de ce que l'on pouvait dire
d'elle, avait-elle besoin du prétexte d'un portrait pour recevoir souvent
et longtemps l'objet de son amour ou de sa fantaisie?
Dès qu'il se sentit calmé, Laurent ne se sentit plus retenu par la honte
de manifester sa curiosité.
--Vous êtes donc Américaine? dit-il à Thérèse, qui de temps en temps
traduisait à M. Palmer, en anglais, les répliques qu'il n'entendait pas
bien.
--Moi? répondit Thérèse; ne vous ai-je pas dit que j'avais l'honneur
d'être votre compatriote?
--C'est que vous parlez si bien l'anglais!
--Vous ne savez pas si je le parle bien, puisque vous ne l'entendez pas.
Mais je vois ce que c'est, car je vous sais curieux. Vous demandez si
c'est d'hier ou d'il y a longtemps que je connais Dick Palmer. Eh bien,
demandez-le à lui-même.
Palmer n'attendit pas une question que Laurent ne se fut pas volontiers
décidé à lui faire. Il répondit que ce n'était pas la première fois qu'il
venait en France et qu'il avait connu Thérèse toute jeune, chez ses
parents. Il ne fut pas dit quels parents.
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