Du style gothique au dix-neuvième siècle | Page 6

Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc
chrétiennes sur la terre classique de l'antiquité et du catholicisme, n'ont-ils pas su imprimer à leurs monuments le caractère qui leur convenait, en s'assimilant, si l'on peut dire, tout ce qu'ils empruntaient à l'art antique! N'est-ce pas à la même école que s'étaient formés ces illustres artistes de notre pays, les Jean Bullant, les Philibert Delorme, les Pierre Lescot, sous la main desquels l'architecture antique prit une physionomie fran?aise! Et qui empêche nos architectes modernes de faire de même en élevant, avec toutes les ressources de notre age, des monuments qui répondent à tous les besoins de notre culte, et qui soient à la fois marqués du sceau du christianisme et du génie de notre société! C'est évidemment là ce que la raison conseille; c'est ce que demande l'intérêt de l'art, c'est ce que réclame l'honneur même de notre époque; et c'est aussi ce que pense l'Académie. S'il devait en être autrement, il faudrait effacer de l'esprit et de la langue des peuples modernes le mot de renaissance et l'idée qui s'y attache; il faudrait déclarer non avenus tous les progrès accomplis et tous ceux qui restent encore à s'opérer; il faudrait immobiliser le présent et jusqu'à l'avenir dans les traditions du passé; il faudrait, en restaurant Notre-Dame et la Saint-Chapelle, ce que demande le patriotisme, d'accord avec la religion, laisser tomber le Val-de-Grace et le D?me des Invalides, ce que défend l'honneur national, non moins que l'intérêt de l'art; il faudrait enfin condamner tous nos monuments de quatre siècles pour refaire quelques tristes imitations de ceux du moyen age, et fermer toutes nos écoles où l'on enseigne, non pas a copier les Grecs et les Romains, mais à les imiter, en prenant, comme eux, dans l'art et dans la nature, tout ce qui se prête aux convenances de toutes les sociétés et aux besoins de tous les temps.
Le secrétaire perpétuel
RAOUL-ROCHETTE.
L'Académie a décidé qu'il serait donné à M. le ministre de l'intérieur communication de ce travail, qui résume son opinion sur les questions débattues dans son sein au sujet de l'architecture gothique.
Certifié conforme,
Le secrétaire perpétuel,
RAOUL-ROCHETTE.
RéPONSE
Aux considérations de l'Académie des Beaux-Arts, sur la question de savoir s'il est convenable, au XIXème siècle, de batir des églises en style gothique.
Nous avions cru longtemps que l'Académie des Beaux-Arts, qui tr?ne si fort au-dessus de la sphère où nous nous débattons depuis déjà bien des années, n'entendait pas ces clameurs, ces discussions élevées pour reconquérir notre art national; qu'elle ne se sentait pas ébranlée par ces luttes qui divisent aujourd'hui l'école d'architecture. Nous pensions que, cachés dans les hauteurs de leur olympe, entourés des lauriers sur lesquels nous osions à peine jeter un regard ambitieux, heureux du calme officiel qui leur est donné après de longs et respectables travaux, les illustres ne daignaient même pas être spectateurs de nos combats et de nos luttes. Nous nous trompions! L'Académie a tout su: nos vicissitudes, nos revers et nos succès. L'Académie s'est émue, et, par la voix de son secrétaire perpétuel, l'Académie nous foudroie:
?Etenim sagitt? tu? transeunt: vox tonitrus tui in rota.?
L'Académie nous renvoie dédaigneusement à l'école, l'Académie avertit le pouvoir, l'Académie rectifie l'opinion; il était temps!... Grace à elle, les combattants vont laisser tomber leurs armes; silencieux et attentifs, ils écouteront cette voix ?imposante? qui nous trace en quelques pages la roule à suivre, à nous qui la cherchions à tatons depuis plus de vingt ans. Que n'est-elle apparue plus t?t, cette vive lumière qui nous montre le but, et le moyen d'y arriver? Hélas! oui, la tache était belle, elle était immense; mais malheureusement l'Académie des Beaux-Arts n'a de commun avec ces dieux passés qu'elle aime tant, que d'être enveloppée de nuages: cela l'empêche de voir, et voilà tout! Un membre de l' Institut nous disait l'autre jour, après avoir lu ce factum:--?Ces messieurs, qui défendent des dieux que personne n'adore plus, ressemblent aux pa?ens du temps de Constantin.? Mot vrai, et qui peint la situation des choses mieux que tout ce que nous pourrons dire. Cependant nos lecteurs, dans l'intérêt des principes qu'ils soutiennent comme nous, voudront bien nous permettre d'examiner en détail le manifeste en question, ne f?t-ce que pour prouver à messieurs de l'Académie que nous avons quelques bonnes raisons pour marcher plus droit que jamais dans la voie que nous avons choisie après m?re délibération.
Que devrons-nous penser de la stabilité des opinions de l'Académie en matière d'art? Ne serait-ce pas le cas de dire, avec la Rochefoucauld: ?Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre.? Si M. Raoul-Rochette fait une seconde édition des ?Considérations?, il pourra prendre cette maxime comme épigraphe. M. Quatremère de Quincy disait, il n'y a pas encore bien longtemps, dans son ?Dictionnaire historique d'Architecture?: ?Il serait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 21
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.