nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps ce
que nous approuvions dans un autre.» Si M. Raoul-Rochette fait une
seconde édition des «Considérations», il pourra prendre cette maxime
comme épigraphe. M. Quatremère de Quincy disait, il n'y a pas encore
bien longtemps, dans son «Dictionnaire historique d'Architecture»: «Il
serait inutile de chercher ce qu'il faut appeler un système de proportion
dans l'architecture gothique, qui, en fait d'ordonnance, de formes, de
détails et d'ornement, ne fit qu'une compilation incohérente de tout ce
que lui avait pu transmettre le goût dégénéré du Bas-Empire[1].» Et
plus loin: «Or voilà ce que nous présente, avec surcroît de désordre et
d'insignifiance, l'architecture gothique, héritière de tous les abus, de
tous les mélanges opérés dans les âges de décadence... Ce qui paraît
avoir exigé des architectes gothiques le plus de science, je veux parler
des voûtes, ne comporte, comme on le montrera tout à l'heure, qu'une
intelligente fort ordinaire[2].» Voici maintenant M. Raoul Rochette qui
vient, au commencement des «Considérations», nous faire un éloge
poétique de ces édifices qui «charment et touchent profondément, et qui
réalisent à l'oeil et à l'esprit l'image de cette Jérusalem céleste vers
laquelle aspire la foi du chrétien.» Et cependant M. R. Rochette
lui-même, dans sa notice sur la Villa Pia de Rome[3], s'élève contre le
goût aride et la triste nudité des églises gothiques.» Que dis-je (car il
faut croire que le fauteuil académique permet de voir les mêmes objets
sous des aspects bien variés)? tournez quelques pages du manifeste, et
vous verrez que ces «monuments qui réalisent l'image de la Jérusalem
céleste», et que l'Académie voudrait voir «perpétuer, s'il est possible,
aussi longtemps que les glorieux souvenirs qui les consacrent, aussi
longtemps que vivra la langue et le génie de la France,» ne deviennent
plus que des productions «qu'il est impossible de justifier par les lois du
goût, etc., etc. «Qui faut-il croire de M. Quatremère ou de M. R.
Rochette, de M. Rochette à la «Villa Pia», ou de M. R. Rochette au
commencement ou à la fin du manifeste académique?
[Note 1: T. II, p. 320.]
[Note 2: (T. II, p. 675.) M. Quatremère de Quincy était secrétaire
perpétuel de l'Académie avant M. Raoul Rochette. Il ne faudrait pas
juger tout le «Dictionnaire d'Architecture» sur les citations que nous
venons de faire; tout le monde est d'accord pour rendre à cet ouvrage,
sur beaucoup de points, toute la justice qui lui est due.]
[Note 3: Voir les pages 133 et suivantes des Annales Archéologiques, t.
I; septembre 1844.]
Suivons maintenant l'Académie, autant que possible, dans tous les
détours de son manifeste. La tâche est difficile, car les
«Considérations» sont le résultat d'opinions tellement diverses, que M.
le secrétaire perpétuel, malgré toute la souplesse de son talent, n'a pu
éviter les énigmes et les contradictions.
Ces messieurs, toutefois, ont compris la position: il fallait faire la part
de l'opinion, ne pas choquer dès l'abord un public prévenu; il fallait
ménager même certaines susceptibilités qui s'élevaient dans le sein de
l'illustre corps. Aussi voyons-nous le manifeste commencer par un
paragraphe attendrissant sur l'intérêt que MM. les membres de
l'Académie des Beaux-Arts prennent à l'architecture française des
XIIème et XIIIème siècles.
«Aujourd'hui, (cela est bien heureux!) la raison demande, le goût
conseille, et l'Académie veut que l'on répare les églises gothiques, avec
ce respect de l'art qui est aussi une religion, ces édifices sur lesquels
s'est si sensiblement appesanti le poids de huit siècles, joint à trois
siècles d'indifférence et d'abandon...» Voilà qui nous semble hardi,
«TROIS SIÈCLES D'INDIFFÉRENCE ET D'ABANDON!» Eh!
messieurs, qui comptez bientôt deux siècles d'existence, ne
pouviez-vous «vouloir» plus tôt; ne siégez-vous pas pour protéger les
arts et les monuments de votre pays; ne craignez-vous pas que les
malveillants (il y en a partout) ne pensent qu'il n'a pas tenu à vous que
le quatrième siècle d'abandon ne commençât? Grâce à Dieu, tout est
sauvé, l'Académie «veut» qu'on répare nos monuments gothiques!
Allons, monsieur, suivez l'ordre que j'ai prescrit, Et faites le contrat
ainsi que je l'ai dit.
Mais nous arrivons à l'endroit délicat: «Est-il convenable, est-il
possible de construire des églises qui seraient une singularité, un
anachronisme, une bizarrerie... des églises gothiques enfin?»--Il faut
croire que ce mot gothique, que nous n'aimons guère, dont nous ne
nous servons que parce qu'il est consacré par l'usage, et que nous
abandonnerions volontiers si cela pouvait être agréable à l'Académie,
cause des spasmes, des éblouissements à l'illustre assemblée. Après le
bel éloge que nous avons lu, M. le secrétaire perpétuel nous conduit à
Rome, pour nous démontrer comme quoi l'architecture gothique n'est
pas une conséquence du christianisme, puisque la grande métropole
chrétienne ne l'a jamais admise sur son territoire; comme quoi
Saint-Pierre «est une immense et superbe basilique,» et enfin que
l'architecture française des XIIème et XIIIème
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