Don Juan -
Holà ! ma?tre sot. Vous savez que je vous ai dit que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.
- Sganarelle -
Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde ! Vous savez ce que vous faites, vous, et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons : mais il y a certains petits impertinents dans le monde qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien ; et si j'avais un ma?tre comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face : Osez-vous bien ainsi vous jouer du ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C'est bien à vous, petit ver de terre, petit myrmidon que vous êtes, (je parle au ma?tre que j'ai dit), c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes revèrent ? Pensez-vous que, pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu, (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos vérités ? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le ciel punit t?t ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et que...
- Don Juan -
Paix !
- Sganarelle -
De quoi est-il question ?
- Don Juan -
Il est question de te dire qu'une beauté me tient au coeur, et qu'entra?né par ses appas, je l'ai suivie jusqu'en cette ville.
- Sganarelle -
Et n'y craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce commandeur que vous tuates il y a six mois ?
- Don Juan -
Et pourquoi craindre ? ne l'ai-je pas bien tué ?
- Sganarelle -
Fort bien, le mieux du monde ; et il aurait tort de se plaindre.
- Don Juan -
J'ai eu ma grace de cette affaire.
- Sganarelle -
Oui, mais cette grace n'éteint pas peut-atre le ressentiment des parents et des amis, et...
- Don Juan -
Ah ! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser ; et le hasard me fit voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contentes l'une de l'autre, et faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion ; j'en fus frappé au coeur, et mon amour commen?a par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble ; le dépit alluma mes désirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la délicatesse de mon coeur se tenait offensée ; mais jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa ma?tresse d'une promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque et des gens, avec quoi fort facilement je prétends enlever la belle.
- Sganarelle -
Ah ! Monsieur...
- Don Juan -
Hein ?
- Sganarelle -
C'est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut. Il n'est rien tel en ce monde que de se contenter.
- Don Juan -
Prépare-toi donc à venir avec moi, et prend soin toi-même d'apporter toutes mes armes, afin que...
(apercevant done Elvire.)
Ah ! rencontre facheuse. Tra?tre, tu ne m'avais pas dit qu'elle était ici elle-même.
- Sganarelle -
Monsieur, vous ne me l'avez pas demandé.
- Don Juan -
Est-elle folle, de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lieu-ci, avec son équipage de campagne ?
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Scène III. - Done Elvire, Don Juan, Sganarelle.
- Done Elvire -
Me ferez-vous la grace, don Juan, de vouloir bien me reconna?tre ? Et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce c?té ?
- Don Juan -
Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendais pas ici.
- Done Elvire -
Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas ; et vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement que je ne l'espérais ; et la manière dont vous le paraissez, me persuade pleinement ce que je refusais de croire. J'admire ma simplicité, et la faiblesse de mon coeur, à douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmaient. J'ai été assez bonne, je le confesse, ou plut?t assez sotte, pour vouloir me tromper moi-même, et travailler à démentir mes yeux et mon
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