dessus de
1200 l. En Angleterre on évalue le produit annuel du travail d'un
cultivateur à 2400 l. A la vérité, il est question ici du laboureur aidé de
toutes les machines que l'art a inventées pour faciliter la culture: mais
l'usage de ces machines peut être introduit dans nos colonies, et il sera
une suite nécessaire de la liberté. Des calculs exacts établis sur le
produit total des colonies les mieux cultivées, ne donnent qu'environ
353 l. pour le produit du travail de chaque esclave existant dans nos îles.
Le même calcul, en supposant que le quart de la population du royaume
soit attaché à la culture, donne 500 liv. pour le produit annuel du travail
de chaque individu de la classe agricole. Ainsi, sous ce premier rapport,
le travail de l'homme libre est bien plus avantageux que celui des
esclaves: mais il faut comparer encore la fertilité des terres dans nos
colonies et en Europe. Le produit du travail est aussi en raison de la
fertilité; et une terre où elle seroit double d'une autre, donneroit, avec le
même travail, un double produit. Le plus ou le moins de valeur des
productions générales recueillies sur la même étendue de terrein, dans
des cultures et des climats différents, peut être regardé comme la
mesure comparative de leur fertilité. La valeur du produit des terres,
dans les colonies, est trois fois plus considérable que celui que nous
obtenons dans nos champs les mieux cultivés. C'est ainsi qu'on peut
prouver que l'esclave ne donne pas le tiers du produit du travail d'un
homme libre[13].
Je sais que la nature des productions, l'état de l'agriculture et l'art de
l'agriculteur peuvent apporter de grandes variations dans les rapports
des cultures isolées: mais ce sont les cultures générales qu'il faut
rapprocher, et ce sont elles qui ont servi de base à mes calculs.
On croit que le prix des denrées des colonies est un prix d'opinion, et
qu'il ne peut pas être comparé au prix de nos productions d'Europe.
Cela étoit vrai, lorsque ces denrées n'étoient pas d'un usage général.
Elles le sont devenues aujourd'hui, et elles ont pris le caractère des
denrées de première nécessité. Je trouverois d'ailleurs des preuves de
cette plus grande fertilité des colonies dans la culture des plantes qui
sont communes à l'Europe et au nouveau continent[14].
Le travail des esclaves est moins cher, dit-on, que celui du journalier, et
c'est bien moins le produit absolu de la culture qu'il importe au
propriétaire d'augmenter, que le bénéfice qu'il en retire. Si l'on calcule
l'intérêt de la valeur d'un esclave, le prix des remplacements nécessaires,
et les frais de nourriture et d'hôpital, on verra que ce meilleur marché
n'est qu'une illusion, et que chaque Nègre travaillant coûte
annuellement plus de 500 livres à son maître[15].
On peut objecter enfin que la chaleur du climat des colonies ne
permettroit pas à nos cultivateurs d'y fournir la même mesure de travail.
De nombreuses expériences démentiroient cette assertion; elles
prouvent que le travail est un moyen de conservation dans nos îles,
pour les ouvriers que la fortune y appelle. La chaleur dans nos
provinces Méridionales, aux mois de Juin, de Juillet et d'Août, est
souvent plus forte qu'à St. Domingue; et c'est l'époque où les travaux de
nos campagnes sont les plus forcés. D'ailleurs je ne propose pas de
conduire des cultivateurs d'Europe dans nos établissements. Je déplore
les funestes essais qu'on a faits à cet égard, et je sais combien l'ambition
cruelle de ceux qui les dirigeoient a fait périr de victimes. Nous avons à
nos portes assez de terres incultes et de champs déserts. Ce sont nos
esclaves qu'il faut attacher au sol de nos colonies. Il faut les former au
travail, et les aider de toutes les ressources de l'art pour faciliter leur
culture, et rendre leurs travaux plus productifs. L'emploi des machines
en agriculture peut être regardé comme ayant doublé la force des
cultivateurs et le produit de leur travail. Voilà quel seroit encore l'effet
de la liberté dans les colonies. Je suis étonné moi-même des résultats
auxquels ces vérités conduisent. L'égarement de l'intérêt particulier est
donc toujours une suite de l'oubli des principes de l'ordre et de la
justice.
Après avoir rappellé ces principes sacrés, après avoir montré les
considérations politiques et les avantages publics et particuliers qui
sollicitent en faveur de la liberté de nos esclaves, je dois indiquer les
moyens de donner cette liberté sans allarmer l'intérêt particulier, et en
évitant les dangers d'une révolution trop rapide.
Lorsqu'il faut détruire de grands désordres publics, on doit se tenir en
garde contre sa sensibilité. Il faut calculer les effets des changements
qu'on prépare; car tout s'enchaîne dans l'état social. Des esclaves
accoutumés au poids de leurs fers, confondent les égarements de la
licence avec les jouissances paisibles de la

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