réputation de mes actions et du
temps, si les fonctions déléguées auxquelles je vais me livrer ne changeaient pas
entièrement ma position. Comme individu, je méprise les traits qu'on me lance, ils ne me
paraissent qu'un vain sifflement; devenu homme du peuple, je dois, sinon répondre à tout,
parce qu'il est des choses dont il serait absurde de s'occuper, mais au moins lutter corps à
corps avec quiconque semblera m'attaquer avec une sorte de bonne foi. Paris, ainsi que la
France entière, se compose de trois classes; l'une ennemie de toute liberté, de toute
égalité, de toute constitution, et digne de tous les maux dont elle a accablé, dont elle
voudrait encore accabler la nation; celle-là je ne veux point lui parler, je ne veux que la
combattre à outrance jusqu'à la mort; la seconde est l'élite des amis ardents, des
coopérateurs, des plus fermes soutiens de notre Révolution, c'est elle qui a constamment
voulu que je sois ici; je ne dois non plus rien dire, elle m'a jugé, je ne la tromperai jamais
dans son attente: la troisième, aussi nombreuse que bien intentionnée, veut également la
liberté, mais elle en craint les orages; elle ne hait pas ses défenseurs qu'elle secondera
toujours dans les moments de périls, mais elle condamne souvent leur énergie, qu'elle
croit habituellement ou déplacée ou dangereuse; c'est à cette classe de citoyens que je
respecte, lors même qu'elle prête une oreille trop facile aux insinuations perfides de ceux
qui cachent sous le masque de la modération l'atrocité de leurs desseins; c'est, dis-je, à ces
citoyens que je dois, comme magistrat du peuple, me faire bien connaître par une
profession de foi solennelle de mes principes politiques.
La nature m'a donné en partage les formes athlétiques et la physionomie âpre de la liberté.
Exempt du malheur d'être né d'une de ces races privilégiées suivant nos vieilles
institutions, et par cela même presque toujours abâtardies, j'ai conservé, en créant seul
mon existence civile, toute ma vigueur native, sans cependant cesser un seul instant, soit
dans ma vie privée, soit dans la profession que j'avais embrassée, de prouver que je savais
allier le sang-froid de la raison à la chaleur de l'âme et à la fermeté du caractère. Si, dès
les premiers jours de notre régénération, j'ai éprouvé tous les bouillonnements du
patriotisme, si j'ai consenti à paraître exagéré pour n'être jamais faible, si je me suis attiré
une première proscription pour avoir dit hautement ce qu'étaient ces hommes qui
voulaient faire le procès à la Révolution, pour avoir défendu ceux qu'on appelait les
énergumènes de la liberté, c'est que je vis ce qu'on devait attendre des traîtres qui
protégeaient ouvertement les serpents de l'aristocratie.
Si j'ai été toujours irrévocablement attaché à la cause du peuple, si je n'ai pas partagé
l'opinion d'une foule de citoyens, bien intentionnés sans doute, sur des hommes dent la
vie politique me semblait d'une versatilité bien dangereuse, si j'ai interpellé face à face, et
aussi publiquement que loyalement, quelques-uns de ces hommes qui se croyaient les
pivots de notre Révolution; si j'ai voulu qu'ils s'expliquassent sur ce que mes relations
avec eux m'avait fait découvrir de fallacieux dans leurs projets, c'est que j'ai toujours été
convaincu qu'il importait au peuple de lui faire connaître ce qu'il devait craindre de
personnages assez habiles pour se tenir perpétuellement en situation de passer, suivant le
cours des événements, dans le parti qui offrirait à leur ambition les plus hautes destinées;
c'est que j'ai cru encore qu'il était digne de moi de m'expliquer en présence de ces mêmes
hommes, de leur dire ma pensée tout entière, lors même que je prévoyais bien qu'ils se
dédommageraient de leur silence en me faisant peindre par leurs créatures avec les plus
noires couleurs, et en me préparant de nouvelles persécutions.
Si, fort de ma cause, qui était celle de la nation, j'ai préféré les dangers d'une seconde
proscription judiciaire, fondée non pas même sur ma participation chimérique a une
pétition trop tragiquement célèbre, mais sur je ne sais quel conte misérable de pistolets
emportés en ma présence, de la chambre d'un militaire, dans une journée à jamais
mémorable, c'est que j'agis constamment d'après les lois éternelles de la justice, c'est que
je suis incapable de conserver des relations qui deviennent impures, et d'associer mon
nom à ceux qui ne craignent pas d'apostasier la religion du peuple qu'ils avaient d'abord
défendu.
Voilà quelle fut ma vie.
Voici, messieurs, ce qu'elle sera désormais.
J'ai été nommé pour concourir au maintien de la Constitution, pour faire exécuter les lois
jurées par la nation; eh bien, je tiendrai mes serments, je remplirai mes devoirs, je
maintiendrai de tout mon pouvoir la Constitution, rien que la Constitution, puisque ce
sera défendre tout à la fois l'égalité, la liberté et le peuple. Celui qui m'a précédé
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