Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu | Page 9

Maurice Joly
sacr��e, inviolable; mais, tout en conservant une masse d'attributions capitales qui, pour le bien de l'��tat, doivent demeurer en sa puissance, son r?le essentiel n'est plus que d'��tre le procurateur de l'ex��cution des lois. N'ayant plus dans sa main la pl��nitude des pouvoirs, sa responsabilit�� s'efface et passe sur la t��te des ministres qu'il associe �� son gouvernement. La loi, dont il a la proposition exclusive, ou concurremment avec un autre corps de l'��tat, est pr��par��e par un conseil compos�� d'hommes m?ris dans l'exp��rience des affaires, soumise �� une Chambre haute, h��r��ditaire ou viag��re, qui examine si ses dispositions n'ont rien de contraire �� la constitution, vot��e par un Corps l��gislatif ��man�� du suffrage de la nation, appliqu��e par une magistrature ind��pendante. Si la loi est vicieuse, elle est rejet��e ou amend��e par le Corps l��gislatif: la Chambre haute s'oppose �� son adoption, si elle est contraire aux principes sur lesquels repose la constitution.
Le triomphe de ce syst��me si profond��ment con?u, et dont le m��canisme, vous le comprenez, peut se combiner de mille mani��res, suivant le temp��rament des peuples auxquels il s'applique, a ��t�� de concilier l'ordre avec la libert��, la stabilit�� avec le mouvement, de faire participer l'universalit�� des citoyens �� la vie politique, en supprimant les agitations de la place publique. C'est le pays se gouvernant lui-m��me, par le d��placement alternatif des majorit��s, qui influent dans les chambres sur la nomination des ministres dirigeants.
Les rapports entre le prince et les sujets reposent, comme vous le voyez, sur un vaste syst��me de garanties dont les bases in��branlables sont dans l'ordre civil. Nul ne peut ��tre atteint dans sa personne ou dans ses biens par un acte de l'autorit�� administrative; la libert�� individuelle est sous la protection des magistrats; en mati��re criminelle, les accus��s sont jug��s par leurs pairs; au-dessus de toutes les juridictions, il y a une juridiction supr��me charg��e de casser les arr��ts qui seraient rendus en violation des lois. Les citoyens eux-m��mes sont arm��s, pour la d��fense de leurs droits, par l'institution de milices bourgeoises qui concourent �� la police des cit��s; le plus simple particulier peut, par voie de p��tition, faire monter sa plainte jusqu'aux pieds des assembl��es souveraines qui repr��sentent la nation. Les communes sont administr��es par des officiers publics nomm��s �� l'��lection. Chaque ann��e, de grandes assembl��es provinciales, ��galement issues du suffrage, se r��unissent pour exprimer les besoins et les voeux des populations qui les entourent.
Telle est l'image trop affaiblie, ? Machiavel, de quelques-unes des institutions qui fleurissent aujourd'hui dans les ��tats modernes, et notamment dans ma belle patrie; mais comme la publicit�� est de l'essence des pays libres, toutes ces institutions ne pourraient vivre longtemps si elles ne fonctionnaient au grand jour. Une puissance encore inconnue dans votre si��cle, et qui ne faisait que na?tre de mon temps, est venu leur donner le dernier souffle de la vie. C'est la presse longtemps proscrite, encore d��cri��e par l'ignorance, mais �� laquelle on pourrait le beau mot qu'a dit Adam Smith, en parlant du cr��dit: C'est une voie publique. C'est par cette voie, en effet, que se manifeste tout le mouvement des id��es chez les peuples modernes. La presse exerce dans l'��tat comme des fonctions de police: elle exprime les besoins, traduit les plaintes, d��nonce les abus, les actes arbitraires; elle contraint �� la moralit�� tous les d��positaires du pouvoir; il lui suffit, pour cela, de les mettre en face de l'opinion.
Dans des soci��t��s ainsi r��gl��es, ? Machiavel, quelle part pourriez-vous faire �� l'ambition des princes et aux entreprises de la tyrannie? Je n'ignore point par quelles convulsions douloureuses ces progr��s ont triomph��. En France, la libert�� noy��e dans le sang pendant la p��riode r��volutionnaire, ne s'est relev��e qu'avec la Restauration. L��, de nouvelles commotions se pr��paraient encore; mais d��j�� tous les principes, toutes les institutions dont je vous ai parl��, ��taient pass��s dans les moeurs de la France et des peuples qui gravitent dans la sph��re de sa civilisation. J'en ai fini, Machiavel. Les ��tats, comme les souverains, ne se gouvernent plus aujourd'hui que par les r��gles de la justice. Le ministre moderne qui s'inspirerait de vos le?ons ne resterait pas un an au pouvoir; le monarque qui mettrait en pratique les maximes du Trait�� du Prince soul��verait contre lui la r��probation de ses sujets; il serait mis au ban de l'Europe.
[2] Esp. des lois, p. 129, liv. XI, ch. VI.
MACHIAVEL.
Vous croyez?
MONTESQUIEU.
Me pardonnerez-vous ma franchise?
MACHIAVEL.
Pourquoi non?
MONTESQUIEU.
Dois-je penser que vos id��es se sont quelque peu modifi��es?
MACHIAVEL.
Je me propose de d��molir, pi��ce �� pi��ce, toutes les belles choses que vous venez de dire, et de vous d��montrer que ce sont mes doctrines seules qui l'emportent m��me aujourd'hui, malgr�� les nouvelles id��es, malgr�� les nouvelles moeurs, malgr�� vos pr��tendus principes de droit public, malgr�� toutes les institutions dont vous venez de me parler; mais permettez-moi, auparavant, de
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