Deux et deux font cinq | Page 5

Alphonse Allais
v'là, toi!... j'suis pas faché de te voir. Faudra venir nous dire bonjour... Tu sais que nous sommes revenus de Nice?
--Je m'en doute un peu, à ta seule rencontre.
--C'est vrai!... je suis bête... Viens nous dire bonjour... Maman te gobe beaucoup... Elle dit que rien que de voir ta bobine, ?a la fait rigoler.
--Je remercierai Madame ta mère de la bonne opinion...
--Fais pas ?a!... Tu seras bien avancé quand tu m'auras fait engueuler comme un pied!
--Et puis, je lui dirai aussi que tu te sers de la détestable expression engueuler, laquelle est l'apanage exclusif de gens de basse culture mondaine.
--Oh! la la! ousqu'est mon monok!... Et puis, tu sais, j' m'en fiche, tu peux lui dire tout ce que tu voudras, à maman. Quand elle est un peu fachée, je n'ai qu'à lui passer mes bras autour du cou, je l'appelle p'tite mère chérie... je l'embrasse sur les yeux... Et elle ne me dit plus rien.
--Tu as de la chance d'avoir une mère comme ?a.
--Eh ben! il ne manquerait plus que ?a... C'est vrai, tout de même, j'ai pas trop à me plaindre... Elle est très chouette, maman!
--Dis donc, mon vieux Pierre!...
--Mon vieux Alphonse!...
--Surtout, ne va pas t'offusquer de ce que je te dirai.
--Marche toujours!
--Il me semble que tu ne me tutoyais pas à Nice?
--Ah! oui... tu ne sais pas?
--Non, je ne sais pas.
--Eh ben! mon vieux, maintenant je tutoie tout le monde!
--Tout le monde?
--Tout le monde!... Tiens, le pape arriverait, là, tout de suite, le pape lui-même, en bicyclette, et me demanderait de lui indiquer le boulevard Malesherbes, je lui dirais: ?Prends la rue Royale, monte tout droit, et puis, au bout, à gauche, tu trouveras le boulevard Malesherbes.? Et, s'il n'était pas content, le Saint-Père, ?a serait le même prix!
--à la suite de quelle évolution ce parti pris t'est-il venu?
--Une nuit que je ne pouvais pas dormir... J'avais pris du café chez des gens qu'on avait d?né... Maman s'était pas aper?u... Et moi, avec tout ?a, j'pouvais pas m'endormir... Alors, je pensais à des tas de trucs... Tout d'un coup, je me suis dit que c'était idiot d'employer le pluriel quand on n'avait affaire qu'à un seul type... Tu comprends?
--à merveille.
--Vois-tu, comme c'est bête, quand on n'a qu'un bonhomme ou qu'une bonne femme devant soi, de lui dire: Comment allez-vous? Comme s'ils étaient trente-quatre mille. Alors, je me suis juré, dans ce cas-là, de lui dire, au bonhomme, ou à la bonne femme: Comment vas-tu? Ceux que ?a épate, je leur dis: Vous vous croyez donc des tas?
--Bravo, mon vieux Pierre, tu te rapproches de la nature, et de la raison.
--Et puis, tu sais, on m'en fait pas démordre!... Ainsi, l'autre jour, en plein catéchisme, j'ai tutoyé le ratichon.
--Le...?
--Le ratichon... le curé, quoi! Si t'avais vu sa bobine!...
--Tu vas donc au catéchisme?
--Oh! m'en parler pas! C'est assez rasoir!... Je comprends pas que des parents, qui se vantent d'être des gens sérieux, peuvent abrutir des pauv'gosses comme nous à toutes ces... Tiens, j'allais encore employer un mot de basse culture mondaine, comme tu dis.
--Ne te gêne pas avec moi.
--Ce matin, c'était le mystère de la Sainte-Trinité. Te souviens-tu du mystère de la Sainte-Trinité?
--Brumeusement.
--C'est crevant!... Le Père, le Saint-Esprit, le Fils!... Le Père a engendré le Saint-Esprit en se contemplant lui-même... Toi, qui commences à être un vieux type, tu comprends pas grand'chose à ?a, déjà? Alors, quoi, nous, les m?mes!... Et après, le Père a contemplé le Saint-Esprit, et ils ont engendré le Fils!... C'est dommage, dis donc, qu'on n'ait pas organisé des trains de plaisir pour assister à ?a, hein?... Ils sont trois et ils ne sont qu'un... Ils ne sont qu'un et ils sont trois!... Arrange ?a... Moi, encore, je ne suis pas trop bête, j'en prends et j'en laisse; mais, autour de moi, au catéchisme, il y a un tas de petites gourdes qui en deviennent gaga. Tiens, veux-tu que je te dise?... Seulement, tu le répéteras pas à p'tite mère, qui coupe un peu dans ces godants-là?
--Tu parles dans l'oreille d'un sépulcre.
--Eh ben! le mystère de la Sainte-Trinité...
--Dis.
--?a manque de femmes!

LA VAPEUR
Il n'y a qu'à moi que ces veines arrivent.
J'ai rencontré, hier, Valentine, dans des conditions exceptionnellement avantageuses qu'on va pouvoir apprécier plus bas.
Valentine est une jeune personne de Montmartre qui se destine au théatre.
Son physique est attrayant, ses manières sont accortes, son intelligence pétille, mais son impudicité est notoire dans tout le neuvième arrondissement et une partie du dix-huitième (sans préjudice, d'ailleurs, pour quelques autres quartiers de Paris).
--Que fais-tu par là? m'informai-je après l'avoir baisée sur le front.
--Devine?
--Je ne suis pas somnambule.
--Je sors de chez l'oncle.
(C'est ainsi que la jeune Valentine désigne familièrement le vigoureux cénobite de la rue de Douai.)
--Tu es restée longtemps chez cet esthète?
--Dans les une heure, une heure et demie.
--Matin!
--Ah! dame! il n'a plus vingt ans, le pauvr' bonhomme!
--Et il
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 71
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.