Deux et deux font cinq | Page 4

Alphonse Allais
conna?tre; mais nous vous gobons toutes beaucoup à l'atelier et ?a excuse notre familiarité.
?Chaque matin, quand on ouvre le Journal, tout de suite on regarde s'il y a une Vie dr?le, et quand il y en a une, ce n'est qu'un cri:
?--Quelle histoire à dormir debout va-t-il encore nous raconter aujourd'hui, cet imbécile-là?
?Rassurez-vous, le mot imbécile est pris ici en bonne part, un peu comme les petites mamans qui appellent leur bébé horreur.
?Votre histoire d'omnibus, surtout, nous a beaucoup gondolées (sic), car nous les connaissons, les omnibus, et surtout le personnel des omnibus, qui se venge bêtement sur les voyageurs et les pauvres petites voyageuses des tracasseries et de l'exploitation des grosses légumes capitalistes[2].
?Depuis le jour où votre article sur les omnibus a paru, nous n'avons plus qu'une idée: c'est d'affoler les contr?leurs, et nous y arrivons souvent.
?Témoin, hier:
?Nous avions passé la soirée à la fête de Montmartre. Des jeunes gens très gentils, mais que nous avons tout de même plaqués brusquement, nous avaient offert un saladier chez un troquet du boulevard Rochechouart.
?(Peut-être ne savez-vous pas ce que c'est qu'un saladier[3]. On vous expliquera ?a une autre fois.) Et ?a nous avait mises en gaieté.
?Mais l'heure est l'heure, n'est-ce pas? et comme on n'a pas de landaus bouton d'or, nous grimpames sur le tramway Place de l'étoile-La Villette, en demandant une correspondance.
?(En attendant qu'un riche Bolivien nous offre un petit h?tel rue Fortuny, nous demeurons chez nos parents, boulevard de Charonne.)
?Sur le trajet, mon amie Lucienne ne disait rien. évidemment, elle ruminait quelque chose, mais je me demandais quoi.
?Je fus bient?t fixée.
?Nous descend?mes à La Villette, et je me disposais à me diriger vers le bureau de La Villette-Place du Tr?ne, quand Lucienne m'arrêta.
?Avec un culot d'enfer, elle s'avan?a vers le contr?leur et lui demanda, en montrant nos deux correspondances:
?--Qu'est-ce que c'est que ces petits cartons-là?
?--Mais, mademoiselle, ce sont des correspondances.
?--Très bien!... Et ces correspondances nous donnent le droit de monter, sans rien payer, sur un omnibus qui correspond avec celui que nous quittons?
?--Parfaitement!
?--Mais, dites-moi! Ma correspondance n'est valable qu'à la condition qu'on ne quitte pas le bureau auquel on est descendu?
?--Parfaitement!
?--Parfaitement, vous-même! Nous n'allons pas quitter le bureau pour ne pas perdre notre correspondance. Nous allons attendre ici le tramway de la Place du Tr?ne.
?--Mais il ne passe pas ici, mademoiselle. Il faut que vous alliez le prendre au bureau là-bas.
?--Non, non, nous ne voulons pas quitter le bureau où nous sommes descendues. Notre correspondance ne vaudrait plus rien. Et puis, nous n'avons pas pris le tramway pour faire le trajet à pied.
?(Il faut vous dire, au cas où vous l'ignoreriez, que le bureau de La Villette-Place du Tr?ne est situé à plus de 100 mètres de celui de l'étoile-La Villette auquel il correspond soi-disant.)
?Je vous fais grace du reste du dialogue. Le malheureux contr?leur devenait fou furieux devant l'aplomb et la logique de Lucienne. Moi, j'étais malade de rire.
?à la fin, comme il fallait bien rentrer, nous pr?mes notre tramway, après cette terrible menace:
?--Nous reviendrons demain avec un huissier, et si la voiture ne vient pas nous prendre ici même, nous la ferons marcher, votre sale Compagnie.
?Je ne sais pas si notre petite histoire va vous intéresser, mais, dans tous les cas, nous avons joliment rigolé, nous.
?Tachez d'arranger ?a, vous ferez plaisir à des petites jeunes filles de la rue de la Paix, qui font des chapeaux pour les belles dames et qui vous aiment bien sans vous conna?tre.
?Et puis, si vous étiez chic et qu'il n'y ait pas derrière vous une terrible madame Alphonse Allais, vous nous feriez signe et vous viendriez un de ces jours nous chercher pour déjeuner, en bons camarades, dans un petit endroit de la rue Saint-Honoré que nous connaissons et où on n'est pas trop mal.
?N'ayez crainte, on ne vous cramponnera pas, car il faut que nous soyons rentrées à une heure.
?N. B.--On n'est pas laides.
?à bient?t?
?LUCIENNE ET MOI.?
Eh bien! c'est entendu, Lucienne et vous! Dites-moi le jour et l'endroit. On déjeunera dans le fameux petit endroit, en bons camarades, comme vous dites, car mon coeur, mon pauvre coeur, est devenu la propriété exclusive et définitive d'une jeune princesse toute d'ambre clair, laquelle n'aimerait pas beaucoup, je crois, que je la trompasse déjà.

LE MYSTèRE DE LA SAINTE-TRINITé DEVANT LA JEUNESSE CONTEMPORAINE
Il y a deux ou trois jours, pas plus, j'ai rencontré mon jeune ami Pierre, dont j'eus l'heur de faire la connaissance à Nice, cet hiver.
Aux Champs-Elysées, mon jeune ami Pierre accompagnait, sans enthousiasme, le baby, sa soeur, qui jonchait, inerte, la copieuse poitrine de sa percheronne nounou.
étendu sur deux chaises tangentes, Pierre affectait des attitudes plut?t asiatiques et ne semblait point s'amuser autrement.
Il m'aper?ut, se décliqua, tel le ressort A. Boudin (voyez ce ressort) et vint vers moi, l'oeil plein d'une rare désinvolture et, toute large ouverte, sa main loyale:
--Tiens, te
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 71
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.