Derniers Contes | Page 7

Edgar Allan Poe
mon confortable logis pour exposer ma vie dans de pareilles aventures; mais le regret étant inutile, je m'arrangeai de mon mieux de la situation, et travaillai à m'assurer les bonnes graces de l'animal à la trompette, qui semblait exercer une certaine autorité sur ses compagnons. J'y réussis si bien, qu'au bout de quelques jours il me donna plusieurs témoignages de sa faveur, et en vint à prendre la peine de m'enseigner les éléments de ce qu'il y avait une certaine outrecuidance à appeler son langage. Je finis par pouvoir converser facilement avec lui et lui faire comprendre l'ardent désir que j'avais de voir le monde.
?_Washish squashish squeak, Sinbad, hey-diddle diddle, grunt unt grumble, hiss, fiss, whiss_, me dit-il un jour après d?ner--mais je vous demande mille pardons, j'oubliais que Votre Majesté n'est pas familiarisée avec le dialecte des _Coqs-hennissants_ (ainsi s'appelaient les animaux-hommes; leur langage, comme je le présume, formant le lien entre la langue des chevaux et celle des coqs.) Avec votre permission, je traduirai: Washish squashish et le reste. Cela veut dire: ?Je suis heureux, mon cher Sinbad, de voir que vous êtes un excellent gar?on; nous sommes en ce moment en train de faire ce qu'on appelle le tour du globe; et puisque vous êtes si désireux de voir le monde, je veux faire un effort, et vous transporter gratis sur le dos de la bête.?
Quand Lady Schéhérazade en fut à ce point de son récit, dit l'Isitso?rnot, le roi se retourna de son c?té gauche sur son c?té droit, et dit:
?Il est en effet fort étonnant, ma chère reine, que vous ayez omis jusqu'ici ces dernières aventures de Sinbad. Savez-vous que je les trouve excessivement curieuses et intéressantes??
Sur quoi, la belle Schéhérazade continua son histoire en ces termes:
?Sinbad poursuit ainsi son récit:--Je remerciai l'homme-animal de sa bonté, et bient?t je me trouvai tout à fait chez moi sur la bête. Elle nageait avec une prodigieuse rapidité à travers l'Océan, dont la surface cependant, dans cette partie du monde, n'est pas du tout plate, mais ronde comme une grenade, de sorte que nous ne cessions, pour ainsi dire, de monter et de descendre.?
?Cela devait être fort singulier,? interrompit le roi.
?Et cependant rien n'est plus vrai,? répondit Schéhérazade.
?Il me reste quelques doutes,? répliqua le roi, ?mais, je vous en prie, veuillez continuer votre histoire.?
?Volontiers? dit la reine. ?La bête, poursuivit Sinbad, nageait donc, comme je l'ai dit, toujours montant et toujours descendant; nous arrivames enfin à une ?le de plusieurs centaines de milles de circonférence, qui cependant avait été batie au milieu de la mer par une colonie de petits animaux semblables à des chenilles[3].?
?Hum!? fit le roi.
?En quittant cette ?le,? continua Schéhérazade (sans faire attention bien entendu à cette éjaculation inconvenante de son mari) nous arrivames bient?t à une autre où les forêts étaient de pierre massive, et si dure qu'elles mirent en pièces les haches les mieux trempées avec lesquelles nous essayames de les abattre[4].
?Hum!? fit de nouveau le roi; mais Schéhérazade passa outre, et continua à faire parler Sinbad.
?Au delà de cette ?le, nous atteign?mes une contrée où il y avait une caverne qui s'étendait à la distance de trente ou quarante milles dans les entrailles de la terre, et qui contenait des palais plus nombreux, plus spacieux et plus magnifiques que tous ceux de Damas ou de Bagdad. A la vo?te de ces palais étaient suspendues des myriades de gemmes, semblables à des diamants, mais plus grosses que des hommes, et au milieu des rues formées de tours, de pyramides et de temples, coulaient d'immenses rivières aussi noires que l'ébène, et où pullulaient des poissons sans yeux.[5]?
?Hum!? fit le roi.
?Nous parv?nmes ensuite à une région où nous trouvames une autre montagne; au bas de ses flancs coulaient des torrents de métal fondu, dont quelques-uns avaient douze milles de large et soixante milles de long[6]; d'un ab?me creusé au sommet sortait une si énorme quantité de cendres que le soleil en était entièrement éclipsé et qu'il régnait une obscurité plus profonde que la nuit la plus épaisse, si bien que même à une distance de cent cinquante milles de la montagne, il nous était impossible de distinguer l'objet le plus blanc, quelque rapproché qu'il f?t de nos yeux[7].
?Hum!? fit le roi.
?Après avoir quitté cette c?te, nous rencontrames un pays où la nature des choses semblait renversée--nous y v?mes un grand lac, au fond duquel, à plus de cent pieds au-dessous de la surface de l'eau, poussait en plein feuillage une forêt de grands arbres florissants[8].?
?Hoo!? dit le roi.
?A quelque cent milles plus loin, nous entrames dans un climat où l'atmosphère était si dense que le fer ou l'acier pouvaient s'y soutenir absolument comme des plumes dans la n?tre[9].?
?Balivernes!? dit le roi.
?Suivant toujours la même direction, nous arrivames à la plus magnifique région du monde. Elle
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