moment. Autrefois on ��toit si d��licat sur le bon go?t des mani��res et des ��crits qu'il suffisoit �� l'amusement de plaisanter sur le ridicule des formes vulgaires ou des expressions communes; �� pr��sent qu'�� cet ��gard tout est confondu, la plaisanterie est dirig��e contre le sentiment et la pens��e m��me: il semble qu'il n'y ait qu'une chose �� faire de la vie, c'est de se livrer au genre de jouissances que la fortune peut donner, et de consacrer les facult��s de son esprit aux moyens d'acqu��rir cette fortune. On appelle r��verie tout le reste, et l'on voudrait cr��er un bon ton nouveau, qui p?t donner un air provincial aux affections profondes et aux id��es g��n��reuses.
Il y a pourtant dans la soci��t�� des personnes, et ce ne sont pas les moins aimables, qui r��unissent beaucoup de ga?t�� dans l'esprit �� beaucoup de m��lancolie dans le coeur, et dont la plaisanterie a d'autant plus de grace que leur caract��re a plus de d��licatesse. D��s qu'on est dans le monde, ce n'est gu��re que par la ga?t�� qu'on peut s'entendre et se plaire; la tristesse d'ailleurs est le secret de l'ame, et ce seroit une sorte de profanation que de le confier aux indiff��rens: mais ceux qui se moquent si agr��ablement de l'imagination m��lancolique, des pens��es sombres que notre sort nous inspire, habitent-ils une autre terre que la n?tre? Ne sont-ils point s��par��s des objets de leur affection, n'ont-ils jamais cess�� d'��tre aim��s, n'ont-ils pas enfin quelque id��e confuse que la maladie, la vieillesse ou la mort pourra troubler un jour leur joyeuse insouciance?
Comment r��fl��chir dans la solitude sans d��couvrir que tous les sentimens profonds ont une teinte de tristesse, et que l'homme ne peut s'��lever au-dessus de l'existence physique, sans ��prouver que le monde moral est incomplet, et que plus l'on d��veloppe son esprit et son ame, plus l'on sent les bornes de sa destin��e? Les passions religieuses, les passions ambitieuses sont toutes n��es du besoin de remplir le vide de la vie.
Je ne sais si l'on peut en conclure que les hommes devroient aspirer �� la d��gradation; c'est une question inutile �� traiter, puisqu'il n'est pas probable que tous s'accordent �� chercher le bonheur dans cette route; mais je ne crois pas que depuis le commencement du monde, on puisse citer un ��tre distingu�� qui n'ait trouv�� la vie inf��rieure �� ses d��sirs et �� ses sentimens. Tibulle, Horace, Voltaire, les po��tes les plus cit��s pour leur philosophie voluptueuse ou l��g��re, rappellent la mort au milieu de leurs plus riantes pens��es, et jamais l'esprit et le coeur n'ont r��fl��chi sans trouver au fond de tout une pens��e m��lancolique.
L'amour, cette affection qui r��gne seule pendant qu'elle r��gne, r��veille souvent dans notre ame des id��es r��veuses et tristes; on se retrace alors les peines ins��parables de la vie humaine, mais sans en ��prouver ni crainte ni douleur; et tel est l'enchantement d'aimer que lorsque Tibulle souhaite de tenir en expirant la main de sa ma?tresse, il ne voit plus dans la mort, dans cette pens��e si redoutable pour l'homme isol��, qu'un dernier regard plein de tendresse, une expression d'amour plus touchante et plus sacr��e.
Voil��, dira-t-on, quel est le vrai danger de votre roman; vous n'y vantez que la jeunesse et l'amour; vous ne peignez pas la vie sous ses rapports s��rieux et n��cessaires; vous d��go?tez de l'existence grave et froide que la nature destine �� la moiti�� des ��tres et �� la moiti�� de la vie. Je r��pondrai d'abord que ce reproche doit s'adresser aux romans en g��n��ral, plus qu'�� celui de Delphine en particulier; les ouvrages dramatiques, quels qu'ils soient, cherchent dans le coeur les sentimens dont l'int��r��t est le plus vif et le plus g��n��ral; mais il me semble que madame de Cerlebe, mademoiselle d'Alb��mar, la famille des aveugles, tous les personnages enfin qui ne faisant pas le sujet principal du roman n'expriment pas le sentiment qui en est le noeud, peignent avec chaleur les plaisirs des sentimens qui conviennent �� tous les ages. Je concevrois fort bien comment, au milieu de moeurs tr��s-aust��res, on trouveroit dangereuses toutes les peintures de l'amour, quelque pures et quelque d��licates qu'elles fussent; mais il me semble que dans notre pays et dans notre si��cle, ce n'est pas l'amour qui corrompt la morale, mais le m��pris de tous les principes caus�� par le m��pris de tous les sentimens.
Puisqu'il est vrai que l'amour existe dans le coeur, tout ce qui tend �� l'��lever et �� l'ennoblir contribue �� la dignit�� de la nature humaine: les mariages les plus heureux, m��me dans la vieillesse, sont ceux qui de souvenirs en souvenirs retentissent jusqu'�� l'amour. On n'a jamais dit l'amiti�� filiale, l'amiti�� maternelle: on a voulu que le mot le plus tendre f?t consacr�� au plus tendre des sentimens; l'amour de l'humanit��, l'amour de Dieu, toutes les affections
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