les femmes sont mises, par l'ordre social, dans la noble impossibilit�� de se soustraire aux malheurs caus��s par les torts. Il me semble que le roman de Delphine d��veloppe de plusieurs mani��res cette utile v��rit��.
Il ��toit n��cessaire au but moral que je m'��tois propos�� que le caract��re de L��once f?t, �� beaucoup d'��gards, en contraste avec celui de Delphine; car si, comme elle, il avoit ��t�� ind��pendant de l'opinion, comment auroit-elle senti les inconv��niens de son propre caract��re? Elle ne pouvoit ��tre punie que dans le coeur de celui qu'elle aimoit: n'est-ce pas l�� qu'il falloit la frapper? Au milieu de toutes les injustices, de tous les revers, si l'affection de l'objet qui nous est cher restoit profonde, sensible, enthousiaste, par quel malheur seroit-on atteint! mais ne falloit-il pas montrer que l'amour ne r��gne presque jamais seul dans le coeur des hommes, et que leur affection s'alt��re quand on la met souvent aux prises avec des circonstances d��favorables. Sans doute c'est �� un homme qu'il appartient de braver la calomnie et de prot��ger contre elle la femme qu'il aime; mais c'est pr��cis��ment parce qu'il a la responsabilit�� d'une autre destin��e, qu'il s'inqui��te davantage de tout ce qui peut la compromettre. Il ne faut �� une femme, pour ��tre heureuse, que la certitude d'��tre parfaitement aim��e. L'homme qui fait le sort, la gloire et le bonheur des objets qui l'entourent, s'occupe n��cessairement de tout ce qui peut influer sur leur avenir.
Des personnes dont je consid��re beaucoup les jugemens, parce qu'ils sont fond��s sur des motifs respectables, ont trouv�� que dans la peinture du caract��re de L��once j'avois l'air de trop honorer une grande erreur des institutions sociales, le duel. Sans chercher �� discuter ce qu'il ne me convient pas d'approfondir, je dirai que voulant repr��senter L��once comme craintif devant l'opinion, il falloit n��cessairement qu'un autre genre d'audace relevat son caract��re, et qu'une hardiesse, m��me imprudente, serv?t �� lui faire pardonner une timidit�� quelquefois mis��rable; d'ailleurs, il est utile d'apprendre aux femmes qu'en bravant les convenances elles ne se compromettent pas seules, et que l'homme qui les aime, s'il attache du prix �� l'opinion, cherchera, m��me inconsid��r��ment, tous les moyens de se venger des attaques dirig��es contre leur r��putation. Je suis loin, cependant, d'approuver le caract��re de L��once en entier; puisqu'il est destin�� �� faire le malheur de Delphine, il doit n��cessairement avoir do grands torts; mais je crois que L��once, tel que je l'ai peint, pouvoit ��tre vivement aim��. Un caract��re plus analogue �� celui de Delphine auroit sans doute mieux convenu pour former une union bien assortie, mais il y a quelque chose d'orageux dans les passions, qui s'accro?t par les inqui��tudes m��mes que devoit exciter L��once.
Un homme susceptible, ombrageux, et cependant dou�� d'une ame forte et courageuse, un homme dont le caract��re vous pr��sente �� la fois un appui contre les autres, et un danger pour votre propre bonheur, s'empare vivement de l'imagination des femmes. Les hommes aiment �� ��prouver pour les femmes la douce ��motion qu'inspire la foiblesse et la douceur; les femmes veulent admirer et presque redouter cet ��tre protecteur qui doit soutenir leurs pas tremblans. La chevalerie nous a repr��sent�� les hommes aux pieds des femmes, ob��issant �� leurs ordres, se prosternant devant elles; ce sont des formes brillantes dont il faut conserver toute la grace; mais il est peut-��tre vrai qu'il n'y a point de passion dans le coeur des femmes, si elles n'��prouvent pas pour l'objet de leur amour une admiration, un respect qui n'est pas exempt de crainte, et des sentimens de d��f��rence qui vont presque jusqu'�� la soumission. Or, il me semble que les d��fauts m��mes de L��once sont de nature �� produire ce genre d'impression. Malheureusement les causes qui inspirent l'amour ne sont en aucune mani��re des garanties de bonheur: il y a dans ce sentiment des illusions toutes magiques, des peines qui redoublent l'affection, des torts qui n'��clairent point sur les d��fauts de ce qu'on aime. Tant que la surprise n'a point cess��, tant que le charme n'a point disparu, tant que l'objet de ce sentiment est rest�� pour vous un ��tre surnaturel, l'ame agit��e n'est point capable de juger ce qui lui conviendroit �� la longue, ce qui pourroit lui donner une destin��e, un repos tranquille et durable. Je ne dis point qu'un sentiment si tumultueux rende heureux ceux qui l'��prouvent, mais je crois que quand il existe v��ritablement, tels sont ses caract��res, et qu'un homme semblable �� L��once est singuli��rement fait pour inspirer cette passion, et pour rendre malheureuse celle qui s'y livre.
Les femmes r��gnent en souveraines dans les commencemens de l'amour, et l'on ne peut pas exag��rer, m��me dans les romans, tout ce que la passion inspire �� l'homme qui craint de n'��tre pas aim��; mais quand la tendresse d'une femme est obtenue, si le lien sacr��
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