Delphine | Page 4

Madame de Stael
leurs discours son caract��re de g��n��rosit�� et d'indulgence; elle n'est qu'un moyen de blamer am��rement les inconv��niens de quelques qualit��s, mais ne sert plus �� exciter dans le coeur aucun genre d'��mulation pour ce qui est bien. Ah! qu'il n'en est pas ainsi des personnes parfaitement vertueuses et s��v��res pour elles seules! quel repos l'on go?te aupr��s d'elles, lors m��me qu'elles vous blament! On se sent corrig�� par la main qui vous soutiendra; on sait que si l'on n'est pas d'accord en tout, on s'entend du moins par ce qui constitue v��ritablement une bonne et g��n��reuse nature, et je ne craindrois pas de dire �� ces ames privil��gi��es que Delphine leur est inf��rieure, mais qu'elle vaut souvent mieux que le reste du monde.
On a ��crit qu'il n'��toit pas vraisemblable que Delphine p?t r��sister �� l'amour de L��once, en se livrant autant qu'elle le fait �� un sentiment condamnable. Je pense sans doute, et Delphine m��me le r��p��te plusieurs fois, que sa conduite ne doit point ��tre imit��e, et c'est parce qu'elle a donn�� cet exemple qu'il faut qu'elle soit punie; mais je crois cependant qu'il y a dans le caract��re de Delphine un sentiment qui doit la pr��server, ce sont les sacrifices m��me qu'elle a faits pour celui qu'elle aime. Il est doux de d��daigner tous les avantages de la vie, en respectant sa propre fiert��, de se compromettre aux yeux du monde sans cesser de m��riter l'estime de son amant, de le suivre, s'il le falloit, dans les prisons, dans les d��serts, d'immoler tout �� lui, hors ce qu'on croit la vertu, et de lui montrer dans le m��me moment que l'univers n'est rien aupr��s de l'amour, mais que la d��licatesse triomphe encore de cet amour qui avoit triomph�� de tout le reste. Ce sont des sentimens exalt��s, romanesques, et qu'une morale plus s��v��re doit r��primer; ce sont des sentimens pour lesquels il est juste de souffrir, mais pour lesquels aussi il est juste d'��tre plainte; et les romans qui peignent la vie ne doivent pas pr��senter des caract��res parfaits, mais des caract��res qui montrent clairement ce qu'il y a de bon et de blamable dans les actions humaines, et quelles sont les cons��quences naturelles de ces actions.
L�� caract��re de Matilde sert �� faire ressortir les torts de Delphine, sans cependant d��truire l'int��r��t qu'elle doit inspirer; et sous ce rapport encore, je crois ce roman moral. Matilde n'a point de grace dans l'esprit ni dans les mani��res; son caract��re est sec et sa religion superstitieuse; mais par cela seulement que sa conduite est vertueuse et ses sentimens l��gitimes, elle l'emporte dans plusieurs occasions sur une personne beaucoup plus distingu��e et beaucoup plus aimable qu'elle. Si j'avois fait de Matilde une femme charmante et de Delphine une femme ha?ssable, la morale n'a voit rien �� gagner �� la pr��f��rence qu'auroit m��rit��e Matilde; car l'on auroit pu se dire avec raison qu'il n'est pas de r��gle g��n��rale que toutes les ��pouses soient charmantes et toutes les ma?tresses ha?ssables: mais si une femme d��pourvue d'agr��ment balance l'int��r��t qu'on ressent pour Delphine, par la simple autorit�� du devoir et de la vertu, je crois le r��sultat de ce tableau tr��s-moral. Si j'avois suppos�� des vices �� Matilde, j'aurois avili ses droits; si je lui avois donn�� beaucoup de charmes, je pr��tois �� la vertu une force ��trang��re �� elle: mais lorsque Matilde, avec des d��fauts et point de s��duction, trouve un appui si puissant dans la seule arme de l'honn��tet��, et que Delphine, malgr�� toutes ses qualit��s et tous ses charmes, se sent humili��e en pr��sence de Matilde, est-il possible de mieux montrer la souveraine puissance de la morale?
Ce n'est pas tout encore: si j'avois plac�� la sc��ne dans un des pays o�� les moeurs domestiques sont le plus en honneur, l'exemple auroit eu moins de force; mais c'est au milieu de Paris, dans la classe de la soci��t�� o�� la grace avoit tant d'empire, que Delphine est impitoyablement condamn��e. La plus am��re punition d'une ame d��licate qui a commis une faute, c'est la rigueur exerc��e contre elle par les personnes les plus immorales elles-m��mes. Ceux qui ont abjur�� tous les principes trouvent de la protection parmi leurs semblables. Il y a entre ces sortes de gens un langage qui les aide �� se reconno?tre; mais les caract��res naturellement vertueux, lors qu'ils d��vient de la route qu'ils s'��toient trac��e, sont l'objet d'un d��cha?nement universel, et leurs ennemis les plus ardens sont ceux que leurs vertus m��mes avoient humili��s.
Les malheureux succ��s de l'immoralit��, dont il existe quelques exemples, ne se rencontrent presque jamais parmi les femmes. La puissance de la soci��t�� donne tant de ressources aux hommes, les int��r��ts compliqu��s dont ils se m��lent leur offrent tant de d��tours, qu'il en est quelques-uns qui ont su ��chapper �� la punition de leurs vices; mais
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