De lorigine des espèces | Page 9

Charles Darwin
de l'ouvrage entier et à quelques remarques finales.
On ne peut s'étonner qu'il y ait encore tant de points obscurs relativement à l'origine des espèces et des variétés, si l'on tient compte de notre profonde ignorance pour tout ce qui concerne les rapports réciproques des êtres innombrables qui vivent autour de nous. Qui peut dire pourquoi telle espèce est très nombreuse et très répandue, alors que telle autre espèce voisine est très rare et a un habitat fort restreint? Ces rapports ont, cependant, la plus haute importance, car c'est d'eux que dépendent la prospérité actuelle et, je le crois fermement, les futurs progrès et la modification de tous les habitants de ce monde. Nous connaissons encore bien moins les rapports réciproques des innombrables habitants du monde pendant les longues périodes géologiques écoulées. Or, bien que beaucoup de points soient encore très obscurs, bien qu'ils doivent rester, sans doute, inexpliqués longtemps encore, je me vois cependant, après les études les plus approfondies, après une appréciation froide et impartiale, forcé de soutenir que l'opinion défendue jusque tout récemment par la plupart des naturalistes, opinion que je partageais moi-même autrefois, c'est-à-dire que chaque espèce a été l'objet d'une création indépendante, est absolument erronée. Je suis pleinement convaincu que les espèces ne sont pas immuables; je suis convaincu que les espèces qui appartiennent à ce que nous appelons le même genre descendent directement de quelque autre espèce ordinairement éteinte, de même que les variétés reconnues d'une espèce quelle qu'elle soit descendent directement de cette espèce; je suis convaincu, enfin, que la sélection naturelle a joué le r?le principal dans la modification des espèces, bien que d'autres agents y aient aussi participé.
CHAPITRE I DE LA VARIATION DES ESPèCES à L'éTAT DOMESTIQUE
Causes de la variabilité. -- Effets des habitudes. -- Effets de l'usage ou du non-usage des parties. -- Variation par corrélation. -- Hérédité. -- Caractères des variétés domestiques. -- Difficulté de distinguer entre les variétés et les espèces. -- Nos variétés domestiques descendent d'une ou de plusieurs espèces. -- Pigeons domestiques. Leurs différences et leur origine. -- La sélection appliquée depuis longtemps, ses effets. -- Sélection méthodique et inconsciente. -- Origine inconnue de nos animaux domestiques. -- Circonstances favorables à l'exercice de la sélection par l'homme.
CAUSES DE LA VARIABILITé.
Quand on compare les individus appartenant à une même variété ou à une même sous-variété de nos plantes cultivées depuis le plus longtemps et de nos animaux domestiques les plus anciens, on remarque tout d'abord qu'ils diffèrent ordinairement plus les uns des autres que les individus appartenant à une espèce ou à une variété quelconque à l'état de nature. Or, si l'on pense à l'immense diversité de nos plantes cultivées et de nos animaux domestiques, qui ont varié à toutes les époques, exposés qu'ils étaient aux climats et aux traitements les plus divers, on est amené à conclure que cette grande variabilité provient de ce que nos productions domestiques ont été élevées dans des conditions de vie moins uniformes, ou même quelque peu différentes de celles auxquelles l'espèce mère a été soumise à l'état de nature. Il y a peut-être aussi quelque chose de fondé dans l'opinion soutenue par Andrew Knight, c'est-à-dire que la variabilité peut provenir en partie de l'excès de nourriture. Il semble évident que les êtres organisés doivent être exposés, pendant plusieurs générations, à de nouvelles conditions d'existence, pour qu'il se produise chez eux une quantité appréciable de variation; mais il est tout aussi évident que, dès qu'un organisme a commencé à varier, il continue ordinairement à le faire pendant de nombreuses générations. On ne pourrait citer aucun exemple d'un organisme variable qui ait cessé de varier à l'état domestique. Nos plantes les plus anciennement cultivées, telles que le froment, produisent encore de nouvelles variétés; nos animaux réduits depuis le plus longtemps à l'état domestique sont encore susceptibles de modifications ou d'améliorations très rapides.
Autant que je puis en juger, après avoir longuement étudié ce sujet, les conditions de la vie paraissent agir de deux fa?ons distinctes: directement sur l'organisation entière ou sur certaines parties seulement, et indirectement en affectant le système reproducteur. Quant à l'action directe, nous devons nous rappeler que, dans tous les cas, comme l'a fait dernièrement remarquer le professeur Weismann, et comme je l'ai incidemment démontré dans mon ouvrage sur la Variation à l'état domestique [De la Variation des Animaux et des Plantes à l'état domestique, Paris, Reinwald], nous devons nous rappeler, dis-je, que cette action comporte deux facteurs: la nature de l'organisme et la nature des conditions. Le premier de ces facteurs semble être de beaucoup le plus important; car, autant toutefois que nous en pouvons juger, des variations presque semblables se produisent quelquefois dans des conditions différentes, et, d'autre part, des variations différentes se produisent dans des conditions qui paraissent presque uniformes. Les effets sur la descendance sont définis ou
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 272
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.