De lorigine des espèces | Page 8

Charles Darwin
aborde l'étude de l'origine des espèces et qui observe les affinités mutuelles des êtres organisés, leurs rapports embryologiques, leur distribution géographique, leur succession géologique et d'autres faits analogues, en arrive à la conclusion que les espèces n'ont pas été créées indépendamment les unes des autres, mais que, comme les variétés, elles descendent d'autres espèces. Toutefois, en admettant même que cette conclusion soit bien établie, elle serait peu satisfaisante jusqu'à ce qu'on ait pu prouver comment les innombrables espèces, habitant la terre, se sont modifiées de fa?on à acquérir cette perfection de forme et de coadaptation qui excite à si juste titre notre admiration. Les naturalistes assignent, comme seules causes possibles aux variations, les conditions extérieures, telles que le climat, l'alimentation, etc. Cela peut être vrai dans un sens très limité, comme nous le verrons plus tard; mais il serait absurde d'attribuer aux seules conditions extérieures la conformation du pic, par exemple, dont les pattes, la queue, le bec et la langue sont si admirablement adaptés pour aller saisir les insectes sous l'écorce des arbres. Il serait également absurde d'expliquer la conformation du gui et ses rapports avec plusieurs êtres organisés distincts, par les seuls effets des conditions extérieures, de l'habitude, ou de la volonté de la plante elle-même, quand on pense que ce parasite tire sa nourriture de certains arbres, qu'il produit des graines que doivent transporter certains oiseaux, et qu'il porte des fleurs unisexuées, ce qui nécessite l'intervention de certains insectes pour porter le pollen d'une fleur à une autre.
Il est donc de la plus haute importance d'élucider quels sont les moyens de modification et de coadaptalion. Tout d'abord, il m'a semblé probable que l'étude attentive des animaux domestiques et des plantes cultivées devait offrir le meilleur champ de recherches pour expliquer cet obscur problème. Je n'ai pas été désappointé; j'ai bient?t reconnu, en effet, que nos connaissances, quelque imparfaites qu'elles soient, sur les variations à l'état domestique, nous fournissent toujours l'explication la plus simple et la moins sujette à erreur. Qu'il me soit donc permis d'ajouter que, dans ma conviction, ces études ont la plus grande importance et qu'elles sont ordinairement beaucoup trop négligées par les naturalistes.
Ces considérations m'engagent à consacrer le premier chapitre de cet ouvrage à l'étude des variations à l'état domestique. Nous y verrons que beaucoup de modifications héréditaires sont tout au moins possibles; et, ce qui est également important, ou même plus important encore, nous verrons quelle influence exerce l'homme en accumulant, par la sélection, de légères variations successives. J'étudierai ensuite la variabilité des espèces à l'état de nature, mais je me verrai naturellement forcé de traiter ce sujet beaucoup trop brièvement; on ne pourrait, en effet, le traiter complètement qu'à condition de citer une longue série de faits. En tout cas, nous serons à même de discuter quelles sont les circonstances les plus favorables à la variation. Dans le chapitre suivant, nous considérerons la lutte pour l'existence parmi les êtres organisés dans le monde entier, lutte qui doit inévitablement découler de la progression géométrique de leur augmentation en nombre. C'est la doctrine de Malthus appliquée à tout le règne animal et à tout le règne végétal. Comme il na?t beaucoup plus d'individus de chaque espèce qu'il n'en peut survivre; comme, en conséquence, la lutte pour l'existence se renouvelle à chaque instant, il s'ensuit que tout être qui varie quelque peu que ce soit de fa?on qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre; cet être est ainsi l'objet d'une sélection naturelle. En vertu du principe si puissant de l'hérédité, toute variété objet de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée.
Je traiterai assez longuement, dans le quatrième chapitre, ce point fondamental de la sélection naturelle. Nous verrons alors que la sélection naturelle cause presque inévitablement une extinction considérable des formes moins bien organisées et amène ce que j'ai appelé la divergence des caractères. Dans le chapitre suivant, j'indiquerai les lois complexes et peu connues de la variation. Dans les cinq chapitres subséquents, je discuterai les difficultés les plus sérieuses qui semblent s'opposer à l'adoption de cette théorie; c'est-à-dire, premièrement, les difficultés de transition, ou, en d'autres termes, comment un être simple, ou un simple organisme, peut se modifier, se perfectionner, pour devenir un être hautement développé, ou un organisme admirablement construit; secondement, l'instinct, ou la puissance intellectuelle des animaux; troisièmement, l'hybridité, ou la stérilité des espèces et la fécondité des variétés quand on les croise; et, quatrièmement, l'imperfection des documents géologiques. Dans le chapitre suivant, j'examinerai la succession géologique des êtres à travers le temps; dans le douzième et dans le treizième chapitre, leur distribution géographique à travers l'espace; dans le quatorzième, leur classification ou leurs affinités mutuelles, soit à leur état de complet développement, soit à leur état embryonnaire. Je consacrerai le dernier chapitre à une brève récapitulation
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