quelles proportions les diverses classes de la société, les
diverses professions sont représentées à cette grande collection de
mémoires domestiques. Nous avons tenu à faire ce dépouillement.
Notre classification n'a rien d'absolument rigoureux, puisque beaucoup
de ces registres ont été successivement tenus par plusieurs personnes,
n'exerçant pas toujours la même profession. Toutefois, en assignant
chaque livre de raison à son principal auteur, celui qui lui donne le trait
essentiel et distinctif de sa physionomie, on peut dire que ce relevé ne
manque pas d'une certaine exactitude. Tel qu'il est, il nous a semblé
mériter votre attention. Le voici:
Prêtres........................................ 12
Gentils-hommes...................................5 Magistrats, juges de tout
rang ................ 15 Fonctionnaires de divers ordres................. 5
Notaires........................................ 8 Avocats, hommes de loi ou
d'affaires............ 7 Chirurgien...................................... 1
Imprimeurs...................................... 3 Négociants et riches
bourgeois................. 28 Petits marchands, aubergistes, propriétaires de
campagne.................................. 16 Industriels et artisans.........................
3 Dame noble...................................... 1 Total égal. ...........................
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Le plus ancien des livres de ce genre dont nous possédions le texte est
celui d'un juge de Saint-Junien, Pierre Esperon, renfermant des
mentions qui remontent à 1384; mais nous avons la preuve, par un
passage du manuscrit des Benoist, de Limoges, que, dès le treizième
siècle, de semblables registres existaient au moins au foyer des familles
considérables de notre pays.
Les indications générales que nous venons de donner sur les anciens
registres domestiques, suffiraient à établir leur importance pour les
études archéologiques. Nous voudrions, toutefois, insister d'une façon
particulière sur ce point, et montrer combien d'indications précieuses
les personnes adonnées à ces travaux peuvent recueillir dans les livres
de raison. Nous nous bornerons à prendre quelques exemples dans nos
manuscrits limousins, qui, à eux seuls, nous fournissent très
suffisamment de quoi appuyer et justifier notre thèse.
L'histoire, qui examine et commente des faits,--la sociologie, qui
recherche et explique des rapports,--la statistique, qui groupe des
chiffres; la science économique, la médecine, l'agriculture, bien d'autres
sciences et bien d'autres arts trouvent une ample moisson dans nos
registres domestiques. Cette constatation seule établirait leur
importance documentale au point de vue de l'archéologie. Celle-ci, en
effet, n'a pas seulement pour but d'étudier et de comparer les objets
anciens, le matériel de l'humanité à ses divers âges: édifices et mobilier,
vêtements et parures, armes et outils; elle est amenée, en s'occupant de
l'usage assigné à chaque objet, à considérer l'homme lui-même, ses
conditions d'existence, le milieu dans lequel il vit: de là des incursions
de tous les instants dans le domaine de la sociologie et de l'histoire.
Or, aucun document ne nous donne, de l'existence et de l'intérieur
d'autrefois, une vue plus claire et plus complète que les livres de raison.
Après la lecture de certains d'entre eux, nous connaissons la maison
aussi bien que le propriétaire lui-même; nous savons quels meubles
garnissent ses appartements, d'où viennent la plupart et ce qu'ils coûtent;
combien de barriques de vin sont entassées dans son cellier et ce
qu'elles valent; combien de setiers de grain loge son grenier dans les
années d'abondance et dans celles de disette. Feuilletez le livre des
Malliard de Brive par exemple: quels renseignements précis sur toutes
choses et comme ces mille détails caractéristiques vous mettent pour
ainsi dire chaque objet sous les yeux. Quoi de plus instructif que
l'inventaire des vêtements, fourrures et bijoux d'Isabelle de Solminhac,
femme de Malliard? Prenez les divers manuscrits des Peconnet de
Limoges, leur intérieur sans luxe mais confortable et cossu ne revit-il
pas devant vous? Voici le «coffre de bahut» acheté à Paris, les trois lits
avec leur garniture en tapisserie de Bergame, les dix huit chaises
recouvertes de la même étoffe et dont le bois --celui d'une douzaine
tout ou moins--a été acheté vers le même temps c'est-à-dire en 1661.
Des huit pièces de Bergame qui, avec un grand tapis sont revenues y
compris le port et la douane à 91 livres 10 sous, il en a été réservé
une--le père de famille a soin de l'indiquer lui-même--pour décorer la
façade de sa demeure les jours de processions solennelles. Parcourez le
cahier domestique du lieutenant général Martial de Gay (1591-1602):
vous y noterez à chaque page des mentions d'un réel intérêt. Ce ne sera
pas seulement son mobilier que vous connaîtrez au bout de quelques
heures de lecture ce seront ses vêtements et ceux de sa femme, les
bijoux et les parures de celle-ci, les armes du magistrat; vous le verrez
s'adresser à un maître de forges pour avoir de bonnes plaques de fer et
les donner à un habile ouvrier de Limoges qui lui en fabriquera une
armure complète, plus une cuirasse pour un de ses valets. On est au
temps de la Ligue et trop souvent la main se porte à l'épée.
Tout le monde sait quel prix l'archéologie attache à juste titre aux
inventaires: il n'est presque point de livre de raison qui n'en contienne
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