David Copperfield - Tome I | Page 7

Charles Dickens
tant de nouveaux venus comme moi, aussi bien que sur le monticule sous lequel reposaient les restes mortels de celui sans lequel je n'aurais jamais existé.

CHAPITRE II.
J'observe.
Les premiers objets que je retrouve sous une forme distincte quand je cherche à me rappeler les jours de ma petite enfance, c'est d'abord ma mère, avec ses beaux cheveux et son air jeune. Ensuite c'est Peggotty; elle n'a pas d'age, ses yeux sont si noirs qu'ils jettent une nuance sombre sur tout son visage; ses joues et ses bras sont si durs et si rouges que jadis, il m'en souvient, je ne comprenais pas comment les oiseaux ne venaient pas la becqueter plut?t que les pommes.
Il me semble que je vois ma mère et Peggotty placées l'une en face de l'autre; pour se faire petites, elles se penchent ou s'agenouillent par terre, et je vais en chancelant de l'une à l'autre. Il me reste un souvenir qui me semble encore tout récent du doigt que Peggotty me tendait pour m'aider à marcher, un doigt usé par son aiguille et plus rude qu'une rape à muscade.
C'est peut-être une illusion, mais pourtant je crois que la mémoire de beaucoup d'entre nous garde plus d'empreinte des jours d'enfance qu'on ne le croit généralement, de même que je crois la faculté de l'observation souvent très-développée et très-exacte chez les enfants. La plupart des hommes faits qui sont remarquables à ce point de vue ont, selon moi, conservé cette faculté plut?t qu'ils ne l'ont acquise; et, ce qui semblerait le prouver, c'est qu'ils ont en général une vivacité d'impression et une sérénité de caractère qui sont bien certainement chez eux un héritage de l'enfance.
Peut-être m'accusera-t-on de divagation si je m'arrête sur cette réflexion, mais cela m'amène à dire que je tire mes conclusions de mon expérience personnelle, et si, dans la suite de ce récit, on trouve la preuve que dans mon enfance j'avais une grande disposition à observer, ou que dans mon age m?r j'ai conservé un vif souvenir de mon enfance, on sera moins étonné que je me croie en effet des droits incontestables à ces traits caractéristiques.
En cherchant, comme je l'ai déjà dit, à débrouiller le chaos de mon enfance, les premiers objets qui se présentent à moi, ce sont ma mère et Peggotty. Qu'est-ce que je me rappelle encore? Voyons.
Ce qui sort d'abord du nuage, c'est notre maison, souvenir familier et distinct. Au rez-de-chaussée, voilà la cuisine de Peggotty qui donne sur une cour; dans cette cour il y a, au bout d'une perche, un pigeonnier sans le moindre pigeon; une grande niche à chien, dans un coin, sans un seul petit chien; plus, une quantité de poulets qui me paraissent gigantesques, et qui arpentent la cour de l'air le plus mena?ant et le plus féroce. Il y a un coq qui saute sur son perchoir pour m'examiner tandis que je passe ma tête à la fenêtre de la cuisine: cela me fait trembler, il a l'air si cruel! La nuit, dans mes rêves, je vois les oies au long cou qui s'avancent vers moi, près de la grille; je les revois sans cesse en songe, comme un homme entouré de bêtes féroces s'endort en rêvant lions.
Voilà un long corridor, je n'en vois pas la fin: il mène de la cuisine de Peggotty à la porte d'entrée. La chambre aux provisions donne dans ce corridor, il y fait tout noir, et il faut la traverser bien vite le soir, car qui sait ce qu'on peut rencontrer au milieu de ces cruches, de ces pots, de ces vieilles boites à thé? Un vieux quinquet l'éclaire faiblement, et par la porte entrebaillée, il arrive une odeur bizarre de savon, de capres, de poivre, de chandelles et de café, le tout combiné. Ensuite il y a les deux salons: le salon où nous nous tenons le soir, ma mère, moi et Peggotty, car Peggotty est toujours avec nous quand nous sommes seuls et qu'elle a fini son ouvrage; et le grand salon où nous nous tenons le dimanche: il est plus beau, mais on n'y est pas aussi à son aise. Cette chambre a un aspect lamentable à mes yeux, car Peggotty m'a narré (je ne sais pas quand, il y a probablement un siècle) l'enterrement de mon père tout du long: elle m'a raconté que c'est dans ce salon que les amis de la famille s'étaient réunis en manteaux de deuil. C'est encore là qu'un dimanche soir ma mère nous a lu, à Peggotty et à moi, l'histoire de Lazare ressuscité des morts: et j'ai eu si peur qu'on a été obligé de me faire sortir de mon lit, et de me montrer par la fenêtre le cimetière parfaitement tranquille, le lieu où les morts dormaient en repos, à la pale clarté de la lune.
Je ne
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 235
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.