David Copperfield - Tome I | Page 6

Charles Dickens
elle se reboucha l'oreille.
En vérité (M. Chillip l'a souvent dit à ma mère depuis); en vérité, il se sentait presque indigné. à ne parler qu'au point de vue de sa profession, il se sentait presque indigné. Cependant il se rassit et la regarda pendant près de deux heures, toujours assise devant le feu, jusqu'à ce qu'il remontat chez ma mère. Après cette autre absence, il vint retrouver ma tante.
?Eh bien? dit-elle en ?tant la ouate de la même oreille.
-- Eh bien, madame, répondit M. Chillip, nous avan?ons, nous avan?ons tout doucement, madame.
-- Ah! ah! ah!? dit ma tante, et cela avec un tel dédain, que M. Chillip se sentit incapable de supporter plus longtemps miss Betsy. Il y avait de quoi lui faire perdre la tête, il l'a dit depuis. Il aima mieux aller s'asseoir sur l'escalier, dans l'obscurité, en dépit d'un violent courant l'air, et c'est là qu'il attendit qu'on v?nt le chercher.
Ham Peggotty (témoin digne de foi, puisqu'il allait à l'école du gouvernement et qu'il était fort comme un Turc sur le catéchisme), raconta le lendemain qu'il avait eu le malheur d'entr'ouvrir la porte de la salle à manger une heure après le départ de M. Chillip. Miss Betsy parcourait la chambre dans une grande agitation; elle l'avait aper?u et s'était jetée sur lui. évidemment, le coton ne bouchait pas assez hermétiquement les oreilles de ma tante, car de temps à autre, quand le bruit des voix ou des pas devenait plus fort dans la chambre de ma mère, miss Betsy faisait sentir à sa malheureuse victime l'excès de son agitation. Elle lui faisait arpenter la chambre en tous sens, le secouant vivement par sa cravate (comme s'il avait pris trop de laudanum), elle lui ébouriffait les cheveux, elle lui chiffonnait son col de chemise, elle fourrait du coton dans les oreilles du pauvre enfant, les confondant sans doute avec les siennes, enfin elle lui faisait subir toute sorte de mauvais traitements. Ce récit fut en partie confirmé par sa tante, qui le rencontra à minuit et demi, un instant après sa délivrance; elle affirmait qu'il était aussi rouge que moi à ce même moment.
L'excellent M. Chillip ne pouvait en vouloir longtemps à quelqu'un, surtout en un pareil moment. Il se glissa dans la salle à manger dès qu'il eut une minute de libre et dit à ma tante d'un ton affable:
?Eh bien, madame, je suis heureux de pouvoir vous féliciter!
-- De quoi?? dit brusquement ma tante.
M. Chillip se sentit de nouveau troublé par la grande sévérité des manières de ma tante: il lui fit un petit salut, et tenta un léger sourire dans le but de l'apaiser.
?Miséricorde! qu'a donc cet homme? s'écria ma tante de plus en plus impatientée. Est-il muet?
-- Calmez-vous, ma chère madame, dit M. Chillip de sa plus douce voix. Il n'y a plus le moindre motif d'inquiétude, madame. Soyez calme, je vous en prie.?
Je ne comprends pas comment ma tante put résister au désir de secouer M. Chillip jusqu'à ce qu'il f?t venu à bout d'articuler ce qu'il avait à dire. Elle se borna à hocher la tête, mais avec un regard qui le fit frissonner.
?Eh bien, madame, reprit M. Chillip dès qu'il eut retrouvé un peu de courage, je suis heureux de pouvoir vous féliciter. Tout est fini, madame, et bien fini.?
Pendant les cinq ou six minutes qu'employa M. Chillip à prononcer cette harangue, ma tante l'observa curieusement.
?Comment va-t-elle? dit ma tante en croisant les bras, son chapeau toujours pendu à son poignet gauche.
-- Eh bien, madame, elle sera bient?t tout à fait bien, j'espère, répondit M. Chillip. Elle est aussi bien que possible, pour une jeune mère qui se trouve dans une si triste situation. Je n'ai aucune objection à ce que vous la voyiez, madame. Cela lui fera peut-être du bien.
-- Et elle, comment va-t-elle?? demanda vivement ma tante.
M. Chillip pencha encore un peu plus la tête et regarda ma tante d'un air calin.
?L'enfant, dit ma tante, comment va-t-elle?
-- Madame, répondit M. Chillip, je me figurais que vous le saviez. C'est un gar?on.?
Ma tante ne dit pas un mot; elle saisit son chapeau par les brides, le lan?a comme une fronde à la tête de M. Chillip, le remit tout bosselé sur sa propre tête, sortit de la chambre et n'y rentra pas. Elle disparut comme une fée de mauvaise humeur ou comme un de ces êtres surnaturels, que j'étais, disait-on, appelé à voir par le privilège de ma naissance; elle disparut et ne revint plus.
Mon Dieu, non. J'étais couché dans mon berceau, ma mère était dans son lit et Betsy Trotwood Copperfield était pour toujours dans la région des rêves et des ombres, dans cette région mystérieuse d'où je venais d'arriver; la lune, qui éclairait les fenêtres de ma chambre, se reflétait au loin sur la demeure terrestre de
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