Cyrano de Bergerac (French text) | Page 8

Edmond Rostand
Pas de bravos! Le gros tragedien dont vous aimez le ventre S'est senti. . .
LE PARTERRE: C'est un lache!
JODELET: Il dut sortir!
LE PARTERRE: Qu'il rentre!
LES UNS: Non!
LES AUTRES: Si!
UN JEUNE HOMME (a Cyrano): Mais a la fin, monsieur, quelle raison Avez-vous de hair Montfleury?
CYRANO (gracieux, toujours assis): Jeune oison, J'ai deux raisons, dont chaque est suffisante seule. Primo: c'est un acteur deplorable, qui gueule, Et qui souleve avec des han! de porteur d'eau, Le vers qu'il faut laisser s'envoler!--Secundo: Est mon secret. . .
LE VIEUX BOURGEOIS (derriere lui): Mais vous nous privez sans scrupule De la 'Clorise!' Je m'entete. . .
CYRANO (tournant sa chaise vers le bourgeois, respecteusement): Vieille mule! Les vers du vieux Baro valant moins que zero, J'interromps sans remords!
LES PRECIEUSES (dans les loges): Ha!--Ho!--Notre Baro! Ma chere!--Peut-on dire?. . .Ah! Dieu!. . .
CYRANO (tournant sa chaise vers les loges, galant): Belles personnes, Rayonnez, fleurissez, soyez des echansonnes De reve, d'un sourire enchantez un trepas, Inspirez-nous des vers. . .mais ne les jugez pas!
BELLEROSE: Et l'argent qu'il va falloir rendre!
CYRANO (tournant sa chaise vers la scene): Bellerose, Vous avez dit la seule intelligente chose! Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous: (Il se leve, et lancant un sac sur la scene): Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous!
LA SALLE (eblouie): Ah!. . .Oh!. . .
JODELET (ramassant prestement la bourse et la soupesant): A ce prix-la, monsieur, je t'autorise A venir chaque jour empecher la 'Clorise'!. . .
LA SALLE Hu!. . .Hu!. . .
JODELET: Dussions-nous meme ensemble etre hues!. . .
BELLEROSE: Il faut evacuer la salle!. . .
JODELET: Evacuez!. . .
(On commence a sortir, pendant que Cyrano regarde d'un air satisfait. Mais la foule s'arrete bientot en entendant la scene suivante, et la sortie cesse. Les femmes qui, dans les loges, etaient deja debout, leur manteau remis, s'arretent pour ecouter, et finissent par se rasseoir.)
LE BRET (a Cyrano): C'est fou!. . .
UN FACHEUX (qui s'est approche de Cyrano): Le comedien Montfleury! quel scandale! Mais il est protege par le duc de Candale! Avez-vous un patron?
CYRANO: Non!
LE FACHEUX: Vous n'avez pas?. . .
CYRANO: Non!
LE FACHEUX: Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom?. . .
CYRANO (agace): Non, ai-je dit deux fois. Faut-il donc que je trisse? Non, pas de protecteur. . . (La main a son epee): mais une protectrice!
LE FACHEUX: Mais vous allez quitter la ville?
CYRANO: C'est selon.
LE FACHEUX: Mais le duc de Candale a le bras long!
CYRANO: Moins long Que n'est le mien. . . (Montrant son epee): quand je lui mets cette rallonge!
LE FACHEUX: Mais vous ne songez pas a pretendre. . .
CYRANO: J'y songe.
LE FACHEUX: Mais. . .
CYRANO: Tournez les talons, maintenant.
LE FACHEUX: Mais. . .
CYRANO: Tournez! --Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez.
LE FACHEUX (ahuri): Je. . .
CYRANO (marchant sur lui): Qu'a-t-il d'etonnant?
LE FACHEUX (reculant): Votre Grace se trompe. . .
CYRANO: Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe?. . .
LE FACHEUX (meme jeu): Je n'ai pas. . .
CYRANO: Ou crochu comme un bec de hibou?
LE FACHEUX: Je. . .
CYRANO: Y distingue-t-on une verrue au bout?
LE FACHEUX: Mais. . .
CYRANO: Ou si quelque mouche, a pas lents, s'y promene? Qu'a-t-il d'heteroclite?
LE FACHEUX: Oh!. . .
CYRANO: Est-ce un phenomene?
LE FACHEUX: Mais d'y porter les yeux j'avais su me garder!
CYRANO: Et pourquoi, s'il vous plait, ne pas le regarder?
LE FACHEUX: J'avais. . .
CYRANO: Il vous degoute alors?
LE FACHEUX: Monsieur. . .
CYRANO: Malsaine Vous semble sa couleur?
LE FACHEUX: Monsieur!
CYRANO: Sa forme, obscene?
LE FACHEUX: Mais du tout!. . .
CYRANO: Pourquoi donc prendre un air denigrant? --Peut-etre que monsieur le trouve un peu trop grand?
LE FACHEUX (balbutiant): Je le trouve petit, tout petit, minuscule!
CYRANO: Hein? comment? m'accuser d'un pareil ridicule? Petit, mon nez? Hola!
LE FACHEUX: Ciel!
CYRANO: Enorme, mon nez! --Vil camus, sot camard, tete plate, apprenez Que je m'enorgueillis d'un pareil appendice, Attendu qu'un grand nez est proprement l'indice D'un homme affable, bon, courtois, spirituel, Liberal, courageux, tel que je suis, et tel Qu'il vous est interdit a jamais de vous croire, Deplorable maraud! car la face sans gloire Que va chercher ma main en haut de votre col, Est aussi denuee. . . (Il le soufflette.)
LE FACHEUX: Ai!
CYRANO: De fierte, d'envol, De lyrisme, de pittoresque, d'etincelle, De somptuosite, de Nez enfin, que celle. . . (Il se retourne par les epaules, joignant le geste a la parole): Que va chercher ma botte au bas de votre dos!
LE FACHEUX (se sauvant): Au secours! A la garde!
CYRANO: Avis donc aux badauds Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage, Et si le plaisantin est noble, mon usage Est de lui mettre, avant de le laisser s'enfuir, Pas devant, et plus haut, du fer, et non du cuir!
DE GUICHE (qui est descendu de la scene, avec les marquis): Mais a la fin il nous ennui!
LE VICOMTE DE VALVERT (haussant les epaules): Il fanfaronne!
DE GUICHE: Personne ne va donc
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