la grosseur
d'un moucheron, il se fût tout à fait évanoui dans l'air; et alors j'aurais
détourné mes yeux et pleuré...--Mais bon Pisanio, quand
recevrons-nous de ses nouvelles?
PISANIO.--Soyez-en sûre, madame, à la première occasion qu'il pourra
trouver.
IMOGÈNE.--Je ne lui ai point fait mes adieux. J'avais tant de choses
tendres à lui dire! Avant que j'aie pu lui dire comment je songerai à lui
à certaines heures; quelles seront mes pensées; avant que j'aie pu lui
faire jurer qu'aucune femme d'Italie ne lui ferait trahir mon amour et
son honneur; lui recommander de s'unir à moi en prières, à six heures
du matin, à midi, à minuit (car alors je suis dans les cieux pour lui);
avant que j'aie pu lui donner ce baiser d'adieu, que j'aurais placé entre
deux mots charmants; mon père arrive, et, semblable au souffle
tyrannique du nord, il fait tomber tous nos boutons et les empêche de
pousser.
(Une dame de la reine entre.)
LA DAME.--La reine, madame, désire que Votre Altesse se rende
auprès d'elle.
IMOGÈNE, _à Pisanio_.--Allez exécuter les ordres dont je vous ai
chargé, je vais rejoindre la reine.
PISANIO.--Je vous obéirai, madame.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Rome.--Appartement de la maison de Philario.
_Entrent_ PHILARIO, IACHIMO, UN FRANÇAIS, UN
HOLLANDAIS ET UN ESPAGNOL.
IACHIMO.--Croyez-moi, seigneur; je l'ai vu en Angleterre, sa
réputation allait croissant, on s'attendait à lui voir prouver le mérite
qu'on lui reconnaît aujourd'hui; mais je pouvais alors le regarder encore
sans admiration, quand le catalogue de ses qualités eût été inscrit à son
côté et que j'eusse parcouru article par article.
PHILARIO.--Vous parlez d'un temps où il n'était pas encore, comme
aujourd'hui, revêtu de tout ce qui en fait un homme accompli, au
dedans et au dehors.
LE FRANÇAIS.--Je l'ai vu en France; et nous avions là bien des gens
qui pouvaient fixer le soleil d'un oeil aussi ferme que lui.
IACHIMO.--Cette affaire, d'avoir épousé la fille de son roi, le fait
valoir, je n'en doute point, fort au delà de son mérite; on l'apprécie
d'après la valeur de son amante, bien plus que d'après la sienne.
LE FRANÇAIS.--Et puis son bannissement...
IACHIMO.--Oui, oui; les suffrages de ceux qui, sous la bannière de la
princesse, pleurent ce douloureux divorce; tout cela sert
merveilleusement à exalter Posthumus. Ne fût-ce que pour prouver le
bon jugement d'Imogène, qu'il serait autrement aisé de nier si elle avait
pris pour époux un mendiant sans autres qualités. Mais comment
arrive-t-il, Philario, qu'il vienne s'établir chez vous? Où votre liaison
s'est-elle formée?
PHILARIO.--Son père et moi nous avons fait la guerre ensemble, et je
ne dois pas moins que la vie à son père, qui me l'a sauvée plus d'une
fois. Voici l'Anglais. (_Posthumus paraît._) Qu'il soit traité parmi vous
avec les égards que des gentilshommes comme vous doivent à un
étranger de sa qualité. Je vous exhorte tous à lier une plus étroite
connaissance avec ce cavalier, je vous le recommande comme mon
digne ami. Je veux lui donner le temps de montrer son mérite, plutôt
que de faire son éloge en sa présence.
LE FRANÇAIS, _à Posthumus_.--Seigneur, nous nous sommes connus
à Orléans.
POSTHUMUS.--Et depuis lors je vous suis resté redevable d'une foule
d'attentions dont je resterai toujours votre débiteur tout en m'acquittant
sans cesse.
LE FRANÇAIS.--Seigneur, vous estimez trop haut un faible service. Je
me félicitai de vous avoir réconcilié avec mon compatriote; c'eût été
une pitié que de vous laisser rencontrer avec les intentions meurtrières
que vous aviez alors tous deux pour une affaire aussi légère, une
bagatelle.
POSTHUMUS.--Permettez, seigneur; j'étais alors un jeune voyageur:
j'évitais de m'en rapporter à mes propres lumières, aimant mieux me
laisser guider par l'expérience des autres; mais depuis que mon
jugement s'est formé, si je puis dire, sans offenser personne, qu'il s'est
formé, je ne trouve pas que la querelle fût si frivole.
LE FRANÇAIS.--D'honneur, elle l'était trop pour mériter d'être décidée
par le fer, surtout entre deux hommes dont l'un aurait très-probablement
immolé l'autre, ou qui seraient restés tous deux sur la place.
IACHIMO.--Pouvons-nous, sans indiscrétion, vous demander quel était
le sujet de ce différend?
LE FRANÇAIS.--Sans difficulté, je le pense; la querelle fut publique,
et dès lors on peut, sans blesser personne, en faire le récit. C'était à peu
près la même thèse qui fut agitée entre nous l'autre soir, lorsque chacun
de nous fit l'éloge des dames de son pays. Ce gentilhomme soutenait en
ce temps-là, et offrait de le soutenir aux dépens de son sang, que la
sienne était plus belle, plus vertueuse, plus spirituelle, plus chaste, plus
constante et moins abordable qu'aucune des dames les plus accomplies
de France.
IACHIMO.--Cette dame ne vit plus aujourd'hui, ou bien l'opinion qu'en
avait ce gentilhomme doit être usée à présent.
POSTHUMUS.--Elle conserve toujours sa vertu, et moi mon opinion.
IACHIMO.--Il ne faut pas que vous lui
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