Villenauxe, au diocèse de Troyes,
présentent requête à l'official de cette ville, disant qu'ils sont
excessivement incommodés depuis plusieurs années par des chenilles
qu'ils appelaient hurebets[65]: Adversus bruchos seu erucas, vel alia
non dissimilia ANIMALIA gallice hurebets. Ce juge ecclésiastique
ordonne d'abord, sur les conclusions du promoteur, une information et
une descente de commissaires, qui reconnurent que les dommages
causés par les animaux dont on se plaignait étaient très-considérables:
sur quoi première ordonnance qui enjoint aux habitants de corriger
leurs moeurs. Bientôt une nouvelle requête dans laquelle ceux-ci
promettent de mener une meilleure conduite. Seconde ordonnance de
l'official, qui enjoint aux hurebets de se retirer dans six jours des vignes
et territoires de Villenauxe, même de tout le diocèse de Troyes, avec
déclaration que si dans le terme prescrit ils n'obéissent pas, ils sont
déclarés maudits et excommuniés. Au surplus enjoint aux habitants
d'implorer le secours du ciel, de s'abstenir d'aucuns crimes, et de payer
sans fraude les dîmes accoutumées[66].»
Procès intenté en 1585 aux chenilles du diocèse de Valence. Ces
chenilles s'étaient tellement multipliées en cette année dans cette
contrée, que les murailles, les fenêtres et les cheminées des maisons en
étaient couvertes, même dans les villes. «C'était, dit Chorier, une vive
et hideuse représentation de la plaie d'Égypte par les sauterelles. Le
grand vicaire de Valence les fit citer devant lui; il leur donna un
procureur pour se défendre. La cause fut plaidée solennellement; il les
condamna à vider le diocèse, mais elles n'obéirent pas. La justice
humaine n'a pas d'empire sur les instruments de la justice de Dieu.
«Il fut délibéré de procéder contre ces animaux par anathème et par
imprécation et, comme l'on parlait, par malédiction et par
excommunication. Mais deux théologiens et deux jurisconsultes ayant
été consultés, ils firent changer de sentiment au grand vicaire, de sorte
que l'on n'usa que d'abjuration, de prières et d'aspersion d'eau bénite. La
vie de ces animaux est courte, et la dévotion ayant duré quelques mois,
on lui attribua la merveille de les avoir exterminés[67].»
Un savant théologien qui vivait au seizième siècle, Navarre, dont le vrai
nom était Martin Azpilcueta, rapporte qu'en Espagne un évêque
excommunia du haut d'un promontoire les rats, les souris, les mouches
et autres animaux semblables qui dévastaient les blés et autres fruits de
la terre, leur commandant de sortir du pays dans trois heures pour tout
délai, et qu'au même instant la plupart de ces animaux s'enfuirent à la
nage dans une île qui leur avait été désignée, se faisant un devoir
d'obéir au commandement de l'évêque[68].
Ainsi, d'après le texte des diverses sentences que nous venons de
rapporter, l'excommunication était ordinairement précédée de
monitions, c'est-à-dire d'avertissements donnés aux animaux de cesser
leurs dégâts ou de quitter le pays. Ces monitions étaient faites par les
curés des paroisses. Le plus souvent elles étaient au nombre de trois;
entre chacune desquelles on laissait deux jours d'intervalle. Quelquefois
aussi on se contentait d'une seule monition, ce qui d'ailleurs est autorisé
par le droit canon, lorsqu'il s'agit d'une affaire extraordinairement
pressée.
Mais comme il arrivait fréquemment que les monitions ne produisaient
pas l'effet qu'on pouvait en espérer, et que les animaux, malgré ces
avertissements, persistaient à rester dans les lieux dont on demandait à
ce qu'ils sortissent, l'excommunication était définitivement prononcée.
Dans le dix-septième siècle on ne rencontre plus que quelques rares
procès intentés par les officialités contre les animaux; c'est qu'en effet
l'Église, à cette époque, avait presque renoncé à ces ridicules
procédures; aussi voit-on alors dans les règlements des différents
diocèses de France introduire certaines prohibitions destinées à corriger
ces abus. Ainsi par exemple, dans le rituel d'Evreux de 1606, le
cardinal Duperron défend à toute sorte de personnes d'exorciser les
animaux et d'user à leur occasion de prières, oraisons, etc., sans sa
permission expresse et donnée par écrit: «Caveat sacerdos ne vel ipse
hoc munus exerceat, neve alios ad ipsum exercendum admittat, nisi
prius habita in SCRIPTIS facultate a reverendissimo Ebroicensi
episcopo.»
De leur côté, les meilleurs canonistes du temps ne craignaient pas de
censurer énergiquement ces excommunications fulminées contre les
animaux[69]. Écoutons ce qu'écrit à ce sujet le chanoine Éveillon dans
son Traité des excommunications, publié en 1651, ouvrage qui jouit en
cette matière d'une réputation méritée.
Parlant de ces sortes de procès:
«J'en représenterai, dit-il (p. 520), un ici en propres termes, à ce qu'on
voit comme souvent les peuples se laissent embrouiller de plusieurs
erreurs et opinions absurdes auxquelles les supérieurs ecclésiastiques
doivent prendre garde de se laisser emporter par une trop facile
condescendance, sous prétexte de charité; car de cette trop grande
facilité naissent souvent des coutumes préjudiciables à la foi et à la
religion, qu'il est certainement difficile d'extirper par après sans grand
scandale et désordre; les peuples s'opiniâtrent à toute extrémité à
défendre des superstitions et abus publics pour
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