Correspondance, 1812-1876 - Tome 1 | Page 3

George Sand
moi-même. Mais, après avoir fait, presque tous les jours, des
courses de huit, dix, douze et quatorze lieues à cheval, j'étais tellement fatiguée, que je ne
songeais qu'à dormir, encore quand Maurice me le permettait. Aussi j'ai été fort
souffrante de la poitrine, et j'ai eu des toux épouvantables; mais je ne me suis point
arrêtée à ces misères, et, en continuant des exercices violents, j'ai retrouvé ma santé et un
appétit qui effraye nos compagnons de voyage les plus voraces.
Je suis dans un tel enthousiasme des Pyrénées, que je ne vais plus rêver et parler, toute
ma vie, que montagnes, torrents, grottes et précipices. Vous connaissez ce beau pays,
mais pas si bien que moi, j'en suis sûre; car beaucoup des merveilles que j'ai vues, sont
enfouies dans des chaînes de montagnes où les voitures et même les chevaux n'ont jamais
pu pénétrer. Il faut marcher à pic des heures entières dans des gravats qui s'écroulent à
tout instant, et sur des roches aiguës où on laisse ses souliers et partie de ses pieds.
À Cauterets, on a une manière de gravir les rochers fort commode. Deux hommes vous
portent sur une chaise attachée à un brancard, et sautent ainsi de roche en roche au-dessus
de précipices sans fond, avec une adresse, un aplomb et une promptitude qui vous
rassurent pleinement et vous font braver tous les dangers; mais, comme ils sentent le
bouc d'une lieue et que très souvent on meurt de froid après une ou deux heures de
l'après-midi, surtout au haut dés montagnes, j'aimais mieux marcher. Je sautais comme
eux d'une pierre à l'autre, tombant souvent et me meurtrissant les jambes, riant quand
même de mes désastres et de ma maladresse.
Au reste, je ne suis pas la seule femme qui fasse des actes de courage. Il semble que le

séjour des Pyrénées inspire dé l'audace aux plus timides, car les compagnes de mes
expéditions en faisaient autant. Nous avons été à la fameuse cascade de Gavarnie, qui est
la merveille des Pyrénées. Elle tombe d'un rocher de douze cents toises de haut, taillé à
pic comme une muraille. Près de la cascade, on voit un pont de neige, qu'à moins de
toucher, on ne peut croire l'ouvrage de la nature; l'arche, qui a dix ou douze pieds de haut,
est parfaitement faite et on croit voir des coups de truelle sur du plâtre.
Plusieurs des personnes qui étaient avec nous, (car on est toujours fort nombreux dans ces
excursions) s'en sont, retournées, convaincues qu'elles, venaient de voir un ouvrage de
maçonnerie. Pour arriver à ce prodige, et pour en revenir, nous avons fait douze lieues à
cheval sur un sentier de trois pieds de large, au bord d'un précipice qu'en certains endroits
on appelle l'échelle, et dont on ne voit, pas le fond. Ce n'est pourtant pas là ce qu'il y a de
plus dangereux; car les chevaux y sont accoutumés et passent à une ligne du bord, sans
broncher. Ce qui m'étonne bien davantage dans ces chevaux de montagne, c'est leur
aplomb sur des escaliers de rochers qui ne présentent à leurs pieds que des pointes
tranchantes et polies.
J'en avais un fort laid, comme ils le sont tous, mais à qui j'ai fait faire des choses qu'on
n'exigerait que d'une chèvre: galopant toujours dans les endroits les plus effrayants, sans
glisser, ni faire un seul faux pas, et sautant de roche en roche en descendant. J'avoue que
je ne supposais pas que cela fût possible et que je ne me serais jamais cru le courage de
me fier à lui avant que j'eusse éprouvé ses moyens.
Nous avons été hier à six lieues d'ici à cheval, pour visiter les grottes de Lourdes. Nous
sommes entrés à plat ventre dans celle du Loup. Quand on s'est bien fatigué pour arriver à
un trou d'un pied de haut, qui ressemble à la retraite d'un blaireau, j'avoue; que l'on se
sent un peu découragé. J'étais avec mon mari et deux autres jeunes gens avec qui nous
nous étions liées à Cauterets et que nous avons retrouvés à Bagnères, ainsi qu'une grande
partie de notre aimable et nombreuse société bordelaise. Nous avons eu le courage de
nous enfoncer dans cette tanière, et, au bout d'une minute, nous nous sommes trouvés
dans un endroit beaucoup plus spacieux, c'est-à-dire que nous pouvions nous tenir debout
sans chapeau et que nos épaules n'étaient qu'un peu froissées à droite et à gauche.
Après avoir fait cent cinquante pas dans cette agréable position, tenant chacun une
lumière et ôtant bottes et souliers, pour ne pas glisser sur le marbre mouillé et raboteux,
nous sommes arrivés au puits naturel, que nous n'avons pas vu, malgré tous nos
flambeaux, parce que le roc disparaît tout à coup sous les pieds, et l'on ne trouve
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