Correspondance, 1812-1876 - Tome 1 | Page 2

George Sand
ne le connaît pas encore et qui désire
bien le voir, comme vous pensez. Je veux lui faire une surprise. Je ne lui parlerai de rien
dans mes lettres et je lui enverrai Maurice sans dire qui il est. Nous, nous serons derrière
la porte pour jouir de son erreur. Mais j'ai tort de vous dire cela, car je veux vous en faire
autant. Ainsi n'attendez pas que je vous prévienne de mon arrivée.
Adieu, ma chère maman; donnez-moi encore de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout
mon coeur, Casimir en fait autant; pour Maurice, quand on veut l'embrasser, il tourne la
tête et présente son derrière; j'espère que vous le corrigerez de cette mauvaise habitude.
[1] C'était le 17 mars 1824. [2] Oscar Cazamajou, neveu de George Sand. [3] Madame
Cazamajou, soeur aînée de George Sand.

V
A LA MÊME
Nohant, 29 juin 1825.
Vous devez me trouver bien paresseuse, ma chère petite maman, et je le suis en effet. Je
mène une vie si active, que je ne me sens le courage de rien, le soir en rentrant, et que je
m'endors aussitôt que je reste un instant en place.
Ce sont là de bien mauvaises raisons, j'en conviens; mais, du moment que nous sommes
tous bien portants, quelles nouvelles à vous donner de notre tranquille pays, où nous
vivons en gens plus tranquilles encore; voyant pen de personnes et nous occupant de
soins champêtres, dont la description ne vous amuserait guère? J'ai reçu des nouvelles de
Clotilde[1], qui m'a dit que vous vous portiez bien; c'est ce qui me rassurait sur votre
compte et contribuait à mon silence puisque j'étais sans inquiétude.
Si vous eussiez effectué le projet de venir à Nohant, nous aurions dans ce moment le
chagrin de vous quitter. Je pars dans huit jours pour les Pyrénées. J'ai eu le bonheur
d'avoir ici pendant quelques jours, deux aimables soeurs, mes amies intimes de couvent,
qui se rendent aux mêmes eaux, avec leur père, et un vieil ami fort gai et fort aimable. En
quittant Chateauroux, elles n'ont pu se dispenser de venir passer quelques jours à Nohant,
qui était devenu pour moi un lieu de délices par la présence de ces bonnes amies. Je les ai
reconduites un bout de chemin et ne les ai quittées qu'avec la promesse de les rejoindre
bientôt.
Nous allons donc entreprendre un petit voyage de cent quarante lieues d'une traite. C'est
peu pour vous qui faites le voyage d'Espagne comme celui de Vincennes; mais c'est
beaucoup pour Maurice, qui aura demain deux ans. J'espère néanmoins qu'il ne s'en
apercevra pas, à en juger par celui de Nohant, qu'il trouve trop court à son gré. D'ailleurs,
nous ne voyagerons que le jour et en poste. Nous sommes donc dans l'horreur des paquets.
Nous emmenons Fanchou[2], et Vincent[3], qui est fou de joie de voyager sur le siège de
la voiture. Pour moi, je suis enchantée de revoir les Pyrénées, dont je ne me souviens

guère, mais dont on me fait de si belles descriptions. Ne manquez pas de nous donner de
vos nouvelles: car il semble qu'on soit plus inquiet quand on est plus éloigné.
Adieu, ma chère maman, je vous embrasse tendrement et vous désire une bonne santé et
du plaisir surtout; car, chez vous comme chez moi, l'un ne va guère sans l'autre. Maurice
est grand comme père et mère et beau, comme un Amour. Casimir vous embrasse de tout
son coeur. Pour moi, je me porte très bien, sauf un reste de toux et de crachement de sang
qui passeront, j'espère, avec les eaux.
Nous resterons deux mois au plus aux eaux; de là, nous irons à Nérac chez le papa[4], où
nous demeurerons tout l'hiver. Au mois de mars ou d'avril, nous serons à Nohant, où nous
vous attendrons avec ma tante et Clotilde.
[1] Clotilde Daché, née Maréchal, cousine de George Sand. [2] Femme de chambre. [3]
Cocher [4] Le baron Dudevant, beau-pére de George Sand.

VI
A LA MÊME
Bagnères, 28 août 1825.
Ma chère petite maman,
J'ai reçu votre aimable lettre à Cauterets, et je n'ai pu y répondre tout de suite pour mille
raisons. La première, c'est que Maurice venait d'être sérieusement malade, ce qui m'avait
donné beaucoup d'inquiétude et d'embarras.
Il est parfaitement guéri depuis quelques jours que nous sommes ici et que nous avons
retrouvé le soleil et la chaleur. Il a repris tout à fait appétit, sommeil, gaieté et
embonpoint. Aussitôt qu'il a été hors de danger, j'ai profité de sa convalescence pour
courir les montagnes de Cauterets et de Saint-Sauveur, que je n'avais pas eu le temps de
voir. Je n'ai donc pas eu une journée à moi pour écrire à qui que ce soit; tout le monde
m'en veut et je m'en veux à
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