go?tée du pays. Nous avions invité quelques personnes de la Chatre et nous avons fait cent mille folies, comme de nous déguiser le soir en paysans, et si bien, que nous ne nous reconnaissions pas les uns les autres. Madame Duplessis était charmante en cotillon rouge. Ursule[5], en blouse bleue et en grand _chapiau_, était un fort dr?le de galopin. Casimir, en mendiant, a re?u des sous qui lui ont été donnés de très bonne foi. Stéphane de Grandsaigne, que vous connaissez, je crois, était en paysan requinqué, et, faisant semblant d'être gris, a été coudoyer et apostropher notre sous-préfet, qui est un agréable gar?on et qui était au moment de s'en aller quand il nous a tous reconnus.
Enfin la soirée a été très bouffonne et vous aurait divertie, je gage; peut-être auriez-vous été tentée de prendre aussi le bavolet, et je parie qu'il n'y aurait pas eu d'yeux noirs qui vous le disputassent encore.
Comptez-vous retourner bient?t à Paris, chère maman, et êtes-vous toujours contente du séjour de Charleville? Embrassez bien ma soeur pour moi, ainsi que le cher petit Oscar. Casimir vous présente ses tendres hommages, et moi je vous prie de penser un peu à nous quand le printemps reviendra.
Donnez-nous de vos nouvelles, chère maman, et recevez mes embrassements.
[1] Mère de Charles Duvernet, amie de la famille de pères en fils. [2] Saint-Chartier (Indre), village près de Nohant. [3] Domestique de George Sand. [4] Diminutif de Sylvain Biaud. [5] Ursule Josse, femme de chambre de George Sand.
VIII
A MADAME LA BARONNE DUDEVANT EN SA TERRE DE POMPIEY, PAR LE PORT-SAINTE-MARIE (LOT-ET-GARONNE)
Nohant, 30 avril 1826.
Nous avons re?u votre bonne lettre, chère madame, et appris avec chagrin le triste événement[1] qui vient encore de vous environner de tristesse et de réveiller celle, déjà si profonde, que vous éprouviez.
Nous apprécions et nous sentons votre douloureuse et triste situation avec la crainte amère de ne pouvoir l'adoucir, puisque rien ne saurait remplacer ce que vous avez perdu et que nulle consolation ne peut arriver, je le sens, jusqu'à votre coeur brisé. C'est en vous-même, c'est dans cette force morale que vous possédez, ou plut?t c'est dans la profondeur de votre mal, que vous trouvez le moyen de le supporter. Si j'ai bien compris votre souffrance, nulle distraction, nul témoignage d'intérêt ne sont assez puissants pour vous apporter un instant d'oubli. Vous les recevez avec douceur et bonté, mais ils ne sauraient vous faire un bien véritable.
Ce sont vos tristes pensées qui seules vous font jouir d'un triste plaisir. Plus vous les sondez, moins elles doivent vous para?tre amères. Vos souvenirs n'ont rien que de doux. Vous aviez entouré toute son existence de tant de soins et de douceurs! Son bonheur, ce bonheur inexprimable d'une union si parfaite, c'était l'oeuvre de toute votre vie. Ah! je crois que, quand il reste des regrets sans aucun remords, la douleur a ses charmes pour une ame comme la v?tre.
Notre voyage a été fécond en événements dont aucun cependant n'a été grave. Nous avons voulu passer par les montagnes de la Marche, pour jouir de tableaux pittoresques et intéressants. Nous avons payé le plaisir de mille dangers. Des chevaux mourants, ou rétifs, mena?aient de nous culbuter ou de se laisser entra?ner dans des descentes très rapides, sur des routes sinueuses et bordées de ravins profonds. Notre étoile nous a protégés cependant, et nous en avons été quittes pour la peur. Nous sommes arrivés tous bien portants.
Maurice a eu, depuis, un gros rhume avec une forte inflammation aux yeux; l'eau de gomme pour la toux et l'eau de mauve pour les yeux l'ont beaucoup soulagé. Il se porte tout à fait bien à présent.
Je vous remercie, chère et bonne madame, de l'intérêt que vous voulez bien prendre à ma santé. Elle est assez bonne, quoique j'aie toujours des douleurs et un mal opiniatre à la tête, qui est mon inséparable. Je ne fais pourtant point d'imprudences, je suis ici d'une sagesse forcée, n'ayant point de sujets de courses comme à Guillery; mais, ayant plus d'occupations essentielles, je réussis à oublier mes misères et à vaquer à mes affaires comme quelqu'un qui se porte bien. C'est de vous, chère madame, qu'il convient de s'occuper; veuillez nous tenir au courant de votre précieuse santé.
J'ai eu mon frère pendant quelques jours. Il est reparti pour Paris, où des réparations à sa maison le forcent à la surveillance. J'ai obtenu qu'il nous laissat sa femme et sa fille, à qui la campagne conviendra mieux.
Adieu, chère madame; écrivez-nous souvent, peu à la fois, si cela vous fatigue, mais ne nous laissez pas ignorer comment vous êtes. Casimir et moi vous embrassons tendrement.
AURORE D.
Veuillez me rappeler au bon Larnaude [2]; j'ose presque me regarder comme un de ses confrères. Je me suis lancée dans la médecine, ou, pour parler plus humblement, dans l'apothicairerie. M.
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