Correspondance, 1812-1876 - Tome 1 | Page 5

George Sand
du barège de Barèges même, s'il était un peu moins gros et moins laid.
Adieu, chère maman; je vous embrasse de tout mon coeur.
Veuillez, quand vous lui écrirez, embrasser mille fois ma soeur pour moi, lui dire que je suis bien loin de l'oublier; que cette lettre que je vous écris et une à mon frère sont les seules que j'aie eu le temps d'écrire aux Pyrénées, mais que, quand je serai à Guillery[2] je lui écrirai tout de suite. Nous comptons y rester jusqu'au mois de janvier; de là, aller passer le carnaval à Bordeaux, et enfin retourner avec le printemps à Nohant, où nous vous attendrons avec ma tante.
[1] Cousin éloigné de George Sand. [2] Propriété du baron Dudevant, près de Nérac.

VII
A LA MêME
Nohant, 25 février 1826.
Ma chère maman,
J'ai bien du malheur! Je vais à Paris précisément à l'époque où tout le monde y est, et ma mauvaise étoile veut que je ne vous y trouve pas.
Je cours chez ma tante; pour y apprendre que vous êtes à Charleville. Je vous espère tous les jours, mais je n'ai signe de vie qu'à mon retour ici, où je trouve enfin une lettre de vous.
C'est une grande maladresse de ma part que d'aller, au bout de deux ans, passer quinze jours à Paris et de ne pas vous y rencontrer. Mais il y avait si longtemps que je n'avais re?u de vos nouvelles, que je vous croyais bien de retour chez vous. Caron même, chez qui nous avons demeuré, vous croyait sa voisine. Enfin, j'ai joué de malheur, et me voilà rentrée dans mon Berry, ne sachant plus quand j'en sortirai, ni quand j'aurai le bonheur de vous embrasser.
Ma santé, à laquelle vous avez la bonté de porter tant d'intérêt, est meilleure que la dernière fois que je vous écrivis; la preuve en est que j'ai eu la force de passer quatre nuits dans le courrier, tant pour aller que pour venir sans être malade, ni à l'arrivée, ni au retour. Sans ma mauvaise toux qui ne me laissait pas dormir, je me serais assez bien portée.
Merci mille fois de vos bons avis à cet égard; mais ne me grondez pas de ne pas les avoir suivis très exactement. Vous savez que je suis un peu incrédule, et puis un peu médecin moi-même, non par théorie, mais par pratique. Je n'ai jamais vu de remèdes efficaces aux maux de poitrine; la nature fait toutes les guérisons quand elle s'en mêle, et l'honneur en est à l'Esculape, qui ne s'en est pas mêlé. Je sais bien que ces messieurs n'en conviendront jamais. Comment un médecin avouerait-il sa nullité? ce ne serait pas adroit. S'ils faisaient, comme moi, la médecine gratis, ils seraient de bonne foi; peut-être encore l'amour-propre serait-il là pour les en empêcher.
Tant y a que, sans remède et sans docteur, sans me noyer l'estomac de boissons qui ne vont pas dans la poitrine, je ne tousse plus; c'est l'important. J'ai bien toujours des douleurs et par surcro?t une fluxion de chaque c?té du visage dans ce moment-ci. Mais le printemps, s'il veut se dépêcher de venir, mettra ordre aux affaires.
Je vous dirai, chère maman, que, si vous étiez venue passer le carnaval ici, vous ne vous seriez pas du tout ennuyée. Nous avons des bals charmants et nous passons des deux et trois nuits par semaine à danser. Ce n'est pas ce qui me repose, ni même ce qui m'amuse le mieux; mais il y a des obligations dans la vie qu'il faut prendre comme elles viennent. Dernièrement nous sommes sortis d'un bal chez madame Duvernet[1] à neuf heures du matin. N'êtes-vous pas émerveillée d'une dissipation pareille? Aussi le _jubilé_, traversé par tant de fêtes, n'en finit-il pas. J'espère que, dans deux ou trois ans, nous n'en entendrons plus parler. En attendant, le curé prêche tous les dimanches matin contre le bal, et, tous les dimanches soir, on danse tant qu'on peut.
Quand je parle de curé grognon, vous entendez bien que ce n'est pas celui de Saint-Chartier[2] que je veux dire. Tout au contraire: celui-là est si bon, que, s'il avait quelque soixante ans de moins, je le ferais danser si je m'en mêlais.
Il est venu ici faire deux mariages dans un jour. Celui d'André[3], avec une jeune fille que vous ne connaissez pas et qui entrera à notre Service à la Saint-Jean, et celui de Fanchon, soeur d'André et bonne de Maurice, avec la coqueluche du pays, le beau cantonnier _Sylvinot_[4], que vous ne vous rappelez sans doute en aucune manière, malgré _ses succès_. La noce s'est faite dans nos remises, on mangeait dans l'une, on dansait dans l'autre.
C'était d'un luxe que vous pouvez imaginer: trois, bouts de chandelle pour illumination, force piquette pour rafra?chissements, orchestre composé d'une vielle et d'une cornemuse, la plus criarde, par conséquent la plus
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 107
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.