Cora | Page 2

George Sand
au jugement d'un si malin ar��opage dans une parure plus que probl��matique �� mes yeux, c'��tait un h��ro?sme dont peu de jeunes gens �� ma place se fussent sentis capables.
Enfin, la force de ma volont�� l'emporta; je me demandai si j'avais lu pour rien Locke et Condillac, et poussant la porte d'une main ferme, j'entrai par l'effet d'une r��solution d��sesp��r��e. J'ai vu de pr��s d'affreux ��v��nements, je puis le dire: j'ai travers�� les mers et les orages, j'ai ��chapp�� aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java, et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai vu en face les gueules b��antes des sloops flibustiers; j'ai mang�� du biscuit de mer qui m'a perc�� les gencives; j'ai embrass�� la fille du roi de Timor ... eh bien! je vous jure que tout ceci n'��tait rien au prix de mon entr��e dans cet appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne recueillis un aussi glorieux fruit de l'��ducation philosophique.
Les demoiselles ��taient assises en cercle, et, en attendant que la femme du notaire e?t achev�� de m��ler �� ses cheveux noirs une l��g��re guirlande de pivoines, ces gentes filles de la nature ��changeaient entre elles de joyeux propos et de na?ves chansons. Mon apparition inattendue paralysa l'��lan de cette gaiet�� charmante. Le silence ��tendit ses ailes de hibou sur leurs blondes t��tes, et tous les yeux s'attach��rent sur moi avec l'expression du doute, de la m��fiance et de la peur.
Puis tout �� coup un cri de surprise s'��chappa du sein de la plus jeune, et mon nom vola de bouche en bouche comme la bord��e d'une fr��gate arm��e en guerre. Mon sang se gla?a dans mes veines, et je faillis prendre la fuite comme un brick qui a cru attaquer un chasse-mar��e, et qui, �� la port��e de la longue-vue, d��couvre un beau trois-mats, laissant nonchalamment tomber ses sabords pour lui faire accueil.
Mais, �� ma grande stup��faction, la femme de mon h?te, laissant la moiti�� de ses boucles cr��p��es et mena?antes, tandis que l'autre gisait encore sous le papier gris de la papillote, accourut vers moi en s'��criant:--C'est notre jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon Dieu! quelle m��tamorphose! qu'il est bien mis! quelle jolie tournure! quelle coupe d'habit ��l��gante et moderne!... Ah! Mesdemoiselles, regardez! regardez comme M. Georges est chang��, comme il a l'air distingu��. Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges, apr��s moi, pourtant! Vous m'avez forc��e de vous promettre la premi��re, vous vous en souvenez?
Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore de mon triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage pour leur demander timidement leur go?t sur cet habit, et aussit?t un choeur de louanges pur et m��lodieux �� mes oreilles comme un chant c��leste s'��leva autour de moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait pas un pli �� blamer; le collet raide et volumineux ��tait d'un go?t exquis, les basques courtes et cambr��es avaient une grace parfaite, le gilet parsem�� de gigantesques rosaces ��tait d'un ��clat sans pareil; la cravate inflexible, crois��e avec une rigueur syst��matique, ��tait un chef-d'oeuvre d'invention; la manchette et le jabot terrible couronnaient l'oeuvre. De m��moire de jeunes filles, aucun employ�� de l'administration des postes n'avait fait un tel d��but dans le monde.
J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs de ma jeunesse que mon entr��e triomphante dans ce bal, serr�� dans mon habit neuf, froiss�� par les baleines dorsales de mon gilet, vex�� par le rigorisme de mes entournures, et, de plus, flanqu�� �� droite de la femme du notaire, �� gauche de mademoiselle Ph��dora, sa ni��ce, la plus vieille et la plus laide fille du d��partement. N'importe, j'��tais fier, j'��tais heureux, j'��tais bien mis.
La salle ��tait un peu froide, un peu sombre, un peu malpropre; les banquettes ��taient bien tach��es d'huile ?�� et l��, les quinquets jouaient bien un peu, sur les t��tes fleuries et emplum��es du bal, le vieux r?le de l'��p��e de Damocl��s; le parquet n'��tait pas fort brillant, les robes des femmes n'��taient pas toutes fra?ches, pas plus que la fra?cheur de certains visages n'��tait naturelle. Il y avait bien des pieds un peu larges dans des souliers de satin un peu rustiques, des bras un peu rouges sous des manches de dentelle, des cous un peu hal��s sous des colliers de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des hommes une l��g��re odeur de tabac de la r��gie, dans l'office un parfum de vin chaud un peu brutal, dans l'air un nuage de poussi��re un peu agreste, et pourtant c'��tait une charmante f��te, une aimable r��union, sur ma parole! La musique n'��tait pas beaucoup plus mauvaise que celle de Port-Louis ou de Saint-Paul. Les modes n'��taient, �� coup s?r, ni
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