Contes merveilleux, Tome I | Page 4

Hans Christian Andersen
pas de leur part de simples formules de politesse. Les gens d'alentour, habitants des bourgs et des villages voisins venaient le dimanche demander la permission de se promener dans les magnifiques allées. Quand les écoliers se conduisaient bien, on les menait là pour les récompenser de leur sagesse. Tout contre le jardin, mais en dehors, au pied de la haie de cl?ture, on trouvait un grand et vigoureux chardon; de sa racine vivace poussait des branches de tous c?tés, il formait à lui seul comme un buisson. Personne n'y faisait pourtant la moindre attention, hormis le vieil ane qui tra?nait la petite voiture de la laitière. Souvent la laitière l'attachait non loin de là, et la bête tendait tant qu'elle pouvait son long cou vers le chardon, en disant: ?Que tu es donc beau!... Tu es à croquer!? Mais le licou était trop court, et l'ane en était pour ses tendres coups d'oeil et pour ses compliments. Un jour une nombreuse société est réunie au chateau. Ce sont toutes personnes de qualité, la plupart arrivant de la capitale. Il y a parmi elles beaucoup de jolies jeunes filles. L'une d'elles, la plus jolie de toutes, vient de loin. Originaire d'écosse, elle est d'une haute naissance et possède de vastes domaines, de grandes richesses. C'est un riche parti: ?Quel bonheur de l'avoir pour fiancée!? disent les jeunes gens, et leurs mères disent de même. Cette jeunesse s'ébat sur les pelouses, joue au ballon et à divers jeux. Puis on se promène au milieu des parterres, et, comme c'est l'usage dans le Nord, chacune des jeunes filles cueille une fleur et l'attache à la boutonnière d'un des jeunes messieurs. L'étrangère met longtemps à choisir sa fleur; aucune ne para?t être à son go?t. Voilà que ses regards tombent sur la haie, derrière laquelle s'élève le buisson de chardons avec ses grosses fleurs rouges et bleues. Elle sourit et prie le fils de la maison d'aller lui en cueillir une: ?C'est la fleur de mon pays, dit-elle, elle figure dans les armes d'écosse; donnez-la-moi, je vous prie.? Le jeune homme s'empresse d'aller cueillir la plus belle, ce qu'il ne fit pas sans se piquer fortement aux épines. La jeune écossaise lui met à la boutonnière cette fleur vulgaire, et il s'en trouve singulièrement flatté. Tous les autres jeunes gens auraient volontiers échangé leurs fleurs rares contre celle offerte par la main de l'étrangère. Si le fils de la maison se rengorgeait, qu'était-ce donc du chardon? Il ne se sentait plus d'aise; il éprouvait une satisfaction, un bien-être, comme lorsque après une bonne rosée, les rayons du soleil venaient le réchauffer.? Je suis donc quelque chose de bien plus relevé que je n'en ai l'air, pensait-il en lui-même. Je m'en étais toujours douté. à bien dire, je devrais être en dedans de la haie et non pas au dehors. Mais, en ce monde, on ne se trouve pas toujours placé à sa vraie place. Voici du moins une de mes filles qui a franchi la haie et qui même se pavane à la boutonnière d'un beau cavalier.? Il raconta cet événement à toutes les pousses qui se développèrent sur son tronc fertile, à tous les boutons qui surgirent sur ses branches. Peu de jours s'étaient écoulés lorsqu'il apprit, non par les paroles des passants, non par les gazouillements des oiseaux, mais par ces mille échos qui lorsqu'on laisse les fenêtres ouvertes, répandent partout ce qui se dit dans l'intérieur des appartements, il apprit, disons-nous, que le jeune homme qui avait été décoré de la fleur de chardon par la belle écossaise avait aussi obtenu son coeur et sa main.? C'est moi qui les ai unis, c'est moi qui ai fait ce mariage!? s'écria le chardon, et plus que jamais, il raconta le mémorable événement à toutes les fleurs nouvelles dont ses branches se couvraient.? Certainement, se dit-il encore, on va me transplanter dans le jardin, je l'ai bien mérité. Peut-être même serai-je mis précieusement dans un pot où mes racines seront bien serrées dans du bon fumier. Il para?t que c'est là le plus grand honneur que les plantes puissent recevoir. Le lendemain, il était tellement persuadé que les marques de distinction allaient pleuvoir sur lui, qu'à la moindre de ses fleurs, il promettait que bient?t on les mettrait tous dans un pot de fa?ence, et que pour elle, elle ornerait peut-être la boutonnière d'un élégant, ce qui était la plus rare fortune qu'une fleur de chardon p?t rêver. Ces hautes espérances ne se réalisèrent nullement; point de pot de fa?ence ni de terre cuite; aucune boutonnière ne se fleurit plus aux dépens du buisson. Les fleurs continuèrent de respirer l'air et la lumière, de boire les rayons du soleil le jour, et la rosée la nuit; elles s'épanouirent et ne re?urent que la
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 86
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.