Contes merveilleux, Tome I | Page 3

Hans Christian Andersen
à cheveux.? Il mentait impudemment: car c'était à son ma?tre que ces objets appartenaient; mais il savait qu'il est toujours bon de se vanter.
?Encore une fois, éloignez-vous, répéta la jarretière, je ne suis pas habituée à de pareilles manières.
--Eh bien! vous n'êtes qu'une prude!? lui dit le faux col qui voulut avoir le dernier mot. Bient?t après on les tira l'un et l'autre de la lessive, puis ils furent empesés, étalés au soleil pour sécher, et enfin placés sur la planche de la repasseuse. La patine à repasser arriva[1]. ?Madame, lui dit le faux col, vous m'avez positivement ranimé: je sens en moi une chaleur extraordinaire, toutes mes rides ont disparu. Daignez, de grace, en m'acceptant pour époux, me permettre de vous consacrer cette nouvelle jeunesse que je vous dois.
[Note 1: Le mot qui désigne le fer à repasser en danois est féminin.]
--Imbécile!? dit la machine en passant sur le faux col avec la majestueuse impétuosité d'une locomotive qui entra?ne des wagons sur le chemin de fer. Le faux col était un peu effrangé sur ses bords, une paire de ciseaux se présenta pour l'émonder.
?Oh! lui dit le faux col, vous devez être une première danseuse; quelle merveilleuse agilité vous avez dans les jambes! Jamais je n'ai rien vu de plus charmant; aucun homme ne saurait faire ce que vous faites.
--Bien certainement, répondit la paire de ciseaux en continuant son opération.
--Vous mériteriez d'être comtesse; tout ce que je possède, je vous l'offre en vrai gentleman (c'est-à-dire moi, mon tire-botte et ma brosse à cheveux).
--Quelle insolence! s'écria la paire de ciseaux; quelle fatuité!? Et elle fit une entaille si profonde au faux col, qu'elle le mit hors de service.
?Il faut maintenant, pensa-t-il, que je m'adresse à la brosse à cheveux.? ?Vous avez, mademoiselle, la plus magnifique chevelure; ne pensez-vous pas qu'il serait à propos de vous marier?
--Je suis fiancée au tire-botte, répondit-elle.
--Fiancée!? s'écria le faux col.
Il regarda autour de lui, et ne voyant plus d'autre objet à qui adresser ses hommages, il prit, dès ce moment, le mariage en haine. Quelque temps après, il fut mis dans le sac d'un chiffonnier, et porté chez le fabricant de papier. Là, se trouvait une grande réunion de chiffons, les fins d'un c?té, et les plus communs de l'autre. Tous ils avaient beaucoup à raconter, mais le faux col plus que pas un. Il n'y avait pas de plus grand fanfaron. ?C'est effrayant combien j'ai eu d'aventures, disait il, et surtout d'aventures d'amour! mais aussi j'étais un gentleman des mieux posés; j'avais même un tire-botte et une brosse dont je ne me servais guère. Je n'oublierai jamais ma première passion: c'était une petite ceinture bien gentille et gracieuse au possible; quand je la quittai, elle eut tant de chagrin qu'elle alla se jeter dans un baquet plein d'eau. Je connus ensuite une certaine veuve qui était littéralement tout en feu pour moi; mais je lui trouvais le teint par trop animé, et je la laissai se désespérer si bien qu'elle en devint noire comme du charbon. Une première danseuse, véritable démon pour le caractère emporté, me fit une blessure terrible, parce que je me refusais à l'épouser. Enfin, ma brosse à cheveux s'éprit de moi si éperdument qu'elle en perdit tous ses crins. Oui, j'ai beaucoup vécu; mais ce que je regrette surtout, c'est la jarretière... je veux dire la ceinture qui se noya dans le baquet. Hélas! il n'est que trop vrai, j'ai bien des crimes sur la conscience; il est temps que je me purifie en passant à l'état de papier blanc.? Et le faux col fut, ainsi que les autres chiffons, transformé en papier.
Mais la feuille provenant de lui n'est pas restée blanche--c'est précisément celle sur laquelle a été d'abord retracée sa propre histoire. Tous ceux qui, comme lui, ont accoutumé de se glorifier de choses qui sont tout le contraire de la vérité, ne sont pas de même jetés au sac du chiffonnier, changés en papier et obligés, sous cette forme, de faire l'aveu public et détaillé de leurs hableries. Mais qu'ils ne se prévalent pas trop de cet avantage; car, au moment même où ils se vantent, chacun lit sur leur visage, dans leur air et dans leurs yeux, aussi bien que si c'était écrit: ?Il n'y a pas un mot de vrai dans ce que je vous dis. Au lieu de grand vainqueur que je prétends être, ne voyez en moi qu'un chétif faux col dont un peu d'empois et de bavardage composent tout le mérite.?

Les aventures du chardon
Devant un riche chateau seigneurial s'étendait un beau jardin, bien tenu, planté d'arbres et de fleurs rares. Les personnes qui venaient rendre visite au propriétaire exprimaient leur admiration pour ces arbustes apportés des pays lointains pour ces parterres disposés avec tant d'art; et l'on voyait aisément que ces compliments n'étaient
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