Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants | Page 8

Paul Jacob
bénédiction, monsieur le curé, s'étende jusqu'à ce scélérat de juif ou de bohémien, qui est venu avec ses louveteaux se loger dans nos bois, à seule fin de nous porter malheur.
--Je ne sais si c'est un bohémien ou un juif, reprit sévèrement Rabelais, mais à coup s?r ce n'est pas un scélérat: c'est un pauvre homme qui mérite qu'on le plaigne, et qu'on lui vienne en aide, parce qu'il est malheureux.
Rabelais s'éloigna, en laissant les paysannes un peu confuses de la le?on qu'il leur avait donnée et qui leur rappela que le curé de Meudon passait dans le pays pour un partisan déguisé de la Réforme calviniste.
L'Angélus était sonné à l'église du village, quand le curé revint du chateau où il avait passé toute la journée avec le duc et la duchesse de Guise. Le jour commen?ait à baisser, et l'on voyait dans le lointain les vapeurs du soir monter et s'étendre au dessus des bois qui environnaient le village. En approchant d'un sentier qui conduisait dans la forêt, Rabelais crut entendre des sanglots étouffés, et il aper?ut à quelque distance une jeune fille immobile au pied d'un arbre. Il s'approcha rapidement et retint par le bras cette jeune fille qui se disposait à s'enfuir.
--Vous pleurez, mon enfant? lui dit-il avec douceur. Avez-vous donc sujet de pleurer, à votre age où tout est si bon et si beau dans la vie! Quelle est la cause de vos larmes? Je serais heureux de pouvoir les essuyer et de vous faire gaie et joyeuse.
--Est-ce que je pleure, mon très honoré seigneur? dit-elle, en dévorant ses sanglots. Je ne pleure pas, reprit-elle avec un accent de dépit et de colère, non, je ne pleure pas, mais les gens de ce pays sont bien méchants!
--Ils sont comme partout, pauvre petite! répliqua Rabelais, qui regardait avec intérêt cette jeune fille, misérablement vêtue, mais dont la physionomie intelligente ne manquait ni de distinction ni de fierté. Il y a sans doute plus de méchants que de bons, mais aussi il y a plus de bêtes que de méchants. Vous a-t-on fait du mal? Auriez-vous à vous plaindre de quelqu'un? C'est un devoir pour moi de vous faire rendre justice et de vous prendre sous ma protection.
--Il faut que vous ne soyez pas de ce pays-ci, monseigneur, pour être aussi bon que vous êtes, dit l'enfant, reprenant confiance et se hasardant à regarder en face Rabelais qui la regardait également avec bonté. Je n'ai rencontré que des méchants, excepté vous, depuis que nous sommes à demeure dans la seigneurie de Meudon.
--Ah! vous faites partie de ma paroisse? lui demanda Rabelais, qui ne put se défendre d'un mouvement de curiosité. Je ne crois pourtant pas vous avoir encore vue à l'église?
La jeune fille ne répondit rien et baissa les yeux. Elle paraissait vouloir se dérober à cet entretien; elle avait ramassé un panier couvert d'un linge, qui était à terre, et elle se préparait à s'éloigner, lorsque Rabelais l'arrêta encore par le bras.
--Ma chère fille, lui dit-il d'une voix insinuante et persuasive, ayez foi en ma promesse: j'entends vous protéger contre quiconque oserait vous faire tort, et je ne veux pas que dans ma paroisse vous ayez à vous plaindre de qui que ce soit. Je vous prie de me dire tout franc quel est le préjudice qu'on a pu vous causer en ce pays de Meudon.
--Ils veulent que nous mourions de faim! s'écria l'enfant, avec un redoublement de sanglots. C'est la première fois sans doute qu'on me refuse de cuire notre pain au four banal... Ils m'ont chassée, en disant qu'ils me br?leraient comme une juive maudite, si je m'obstinais à présenter à la cuisson mon pain avec le leur.
--Vous êtes donc juive, ma pauvre enfant? lui demanda Rabelais avec bienveillance. Peu importe! ajouta-t-il en voyant que l'enfant restait muette et se refusait à répondre à cette question. Vous êtes malheureuse, et à ce titre, la Providence vous a placée sous ma tutelle et ma protection. Venez avec moi au village.
--Hélas! je ne puis, mon bon seigneur, répondit-elle. Ce n'est pas que j'aie faute de confiance, mais mon père m'attend....
--Votre père? Où est-il? Voulez-vous me mener vers lui? Est-ce que je vous fais peur? Ne savez-vous pas qui je suis?
--Quoi! dit-elle en tremblant, vous voudriez me conduire au four banal?... Ils étaient là comme des bêtes féroces, les femmes aussi bien que les hommes.... Ils me tueraient sans pitié ni merci, ces mauvaises gens!
--Eh bien! ma fille, j'irai seul, à votre place, repartit Rabelais. Confiez-moi cette corbeille qui contient le pain en pate, que vous deviez mettre vous-même au four. Dans deux heures, je vous rapporterai votre pain cuit. Mais où vous le remettrai-je? Dans deux heures il fera nuit close, et vous ne pouvez rester ici à m'attendre.
--Ah! je n'ai pas peur, répliqua-t-elle avec une énergie
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