Contes et nouvelles | Page 4

Edouard Laboulaye
l'enfant avec toute la tendresse d'une m��re.
?Maintenant, ma bonne Julie, lui dit-elle, il faut te coucher. Attends-moi, je vais te chercher de beaux draps blancs et une bassinoire; je chaufferai ton lit, et cette vilaine fi��vre, nous la chasserons.
--Mademoiselle, ne me quittez pas, murmurait l'enfant en se serrant contre sa bienfaitrice. Je suis si bien pr��s de vous!
--Appelle-moi ta petite maman, disait Marie, et ob��is-moi comme �� ta m��re; dans un instant je reviens.?
[Illustration]
Elle se retourna, et, en se retournant, elle poussa un cri. Devant elle ��tait Madeleine, toujours immobile; de grosses larmes lui tombaient des yeux; elle voulait parler, ses l��vres s'agitaient sans prononcer un mot. Sa col��re, soudain arr��t��e et chass��e par une ��motion contraire, c'��tait une secousse trop forte pour l'ouvri��re; elle ne revint �� elle qu'en sanglotant.
?Mademoiselle, s'��cria-t-elle, laissez-moi vous embrasser; et croyez que ce n'est pas une ingrate que vous obligez!
--Embrassez-moi, ma bonne Madeleine, dit ma cousine avec son aimable sourire, votre baiser me portera bonheur; mais faites vite, nous ne pouvons laisser cette enfant dans des draps qui sentent la fi��vre. Je reviens dans un instant.?
Madeleine, trop ��mue pour marcher, la suivit d'un long regard et se mit �� fondre en larmes:
?Voil��, s'��cria-t-elle, un coeur d'or! Celle-ci nous aime et nous comprend; elle ne nous humilie pas par sa piti��.?

V
Tandis que le calme rentrait au sixi��me ��tage, tout ��tait agit�� dans la loge. M. de la Guerche, en homme de sens, avait compris que Marie ne courait aucun danger; il avait assez rudement remerci�� Mme Remy et Rose de leurs craintes et de leur empressement. Les deux femmes, entour��es des domestiques de la maison et des voisines du quartier, ne savaient trop comment expliquer tout le bruit qu'elles avaient fait. Mme Remy, la prudence m��me, cong��diait tous les curieux pour ne pas d��plaire �� Monsieur. Mlle Rose poussait de gros soupirs et murmurait, assez haut pour qu'on l'entend?t, que les ma?tres n'��taient que des ingrats.
Quand les deux femmes se trouv��rent enfin seules, Rose enfon?a ses mains dans les deux poches de son tablier:
?Eh bien, madame Remy, s'��cria-t-elle, vous l'avais-je dit qu'il n'y a de bonheur et de faveur que pour les gueux? Avez-vous entendu comme Monsieur m'a trait��e quand je voulais secourir Mademoiselle?
--Oui, il vous a dit: ?Vous n'��tes qu'une folle, allez-vous-en!?
--C'est bon, c'est bon, madame Remy, les mots ne sont rien, mais le regard, mais le d��dain! Qu'est-ce que vous feriez �� ma place? Je ne puis plus rester dans la maison. On me m��prise.
--Patience, ma belle enfant, dit Mme Remy; dans la vie il y a des bons et des mauvais jours; il faut jouir des uns et oublier les autres. Que voulez-vous? les riches sont comme tous les hommes, ils ont leurs fantaisies; il faut ��tre indulgent avec eux. On n'est pas domestique pour ne rien passer �� son ma?tre. Il faut lui pardonner quelque chose. Qui est-ce qui est parfait?
--Vous avez raison, madame Remy; mais cependant Monsieur devrait avoir plus de respect pour moi devant le monde, et Mademoiselle, en montant l��-haut, aurait bien d? sentir qu'apr��s ce qui s'est pass�� elle me compromettait.
[Illustration]
--Sans doute, mademoiselle Rose, sans doute; mais, voyez-vous, la richesse gate les hommes. Moi qui vous parle, et qui n'��tais pas n��e pour ��tre concierge, mon p��re ��tait un gros fermier, vous savez? eh bien! je sens que si j'��tais riche, j'aurais aussi mes fantaisies. Il me faudrait tous les jours une oie r?tie et la soupe aux choux; c'est une faiblesse, je le sais, mais je la contenterais.
--Ah! si j'��tais riche, s'��cria Rose, ce n'est pas moi qui ferais comme Mademoiselle: au lieu de m'habiller comme une soeur du pot, j'aurais des dentelles �� mon bonnet, �� mon mouchoir, �� mon tablier; parce que, moi, j'ai l'ame grande, et je ne sais pas m'encanailler!
--Chacun son id��e, reprit la porti��re, c'est ce que je vous disais. Calmez-vous! Mademoiselle vous fera quelque cadeau, suivant son habitude; il faut l'excuser aujourd'hui; et, comme dit le proverbe: ?Traite-toi comme tu voudrais que te traitat ton prochain.?
Sur quoi Mme Remy, heureuse d'avoir montr�� sa science, ouvrit majestueusement sa tabati��re, et Rose remonta dans l'appartement, en disant que personne dans la maison n'��tait en ��tat de la comprendre: elle avait des go?ts trop distingu��s pour tous ces gens-l��.

VI
Un mois apr��s cette sc��ne m��morable, Marie ��tait devenue l'amie, presque la soeur de Madeleine. Non seulement elle lui avait procur�� de l'ouvrage en la recommandant �� toutes ses connaissances, mais chaque jour elle allait travailler aupr��s de la petite Julie. Souvent elle apportait avec elle un gros livre, tout rempli d'images, et faisait une lecture que la m��re et la fille ��coutaient avec un ��gal int��r��t. Ce livre, c'est celui qui parle �� tous les ages, �� toutes les conditions, et qui, depuis deux mille ans, n'a rien perdu de son int��r��t: c'est la
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