voir mes armoires?
Rentrons, et, comme tu dois avoir faim, je vas te faire manger un
souper comme tu n'en as goûté de ta vie.
En effet, tandis qu'Emmi admirait le contenu des armoires, la vieille
alluma le feu et tira de sa besace une tête de chèvre, qu'elle fricassa
avec des rogatons de toute sorte et où elle n'épargna ni le sel, ni le
beurre rance, ni les légumes avariés, produit de la dernière tournée. Elle
en fit je ne sais quel plat, qu'Emmi mangea avec plus d'étonnement que
de plaisir et qu'elle le força d'arroser d'une demi-bouteille de vin bleu. Il
n'avait jamais bu de vin, il ne le trouva pas bon, mais il but quand
même, et, pour lui donner l'exemple, la vieille avala une bouteille
entière, se grisa et devint tout à fait expansive. Elle se vanta de savoir
voler encore mieux que mendier et alla jusqu'à lui montrer sa bourse,
qu'elle enterrait sous une pierre du foyer et qui contenait des pièces d'or
à toutes les effigies du siècle. Il y en avait bien pour deux mille francs.
Emmi, qui ne savait pas compter, n'apprécia pas autant qu'elle l'eût
voulu l'opulence de la mendiante.
Quand elle lui eut tout montré:
--A présent, lui dit-elle, je pense que tu ne voudras plus me quitter. J'ai
besoin d'un gars, et, si tu veux être à mon service, je te ferai mon
héritier.
--Merci, répondit l'enfant; je ne veux pas mendier.
--Eh bien, soit, tu voleras pour moi.
Emmi eut envie de se fâcher, mais la vieille avait parlé de le conduire le
lendemain à Mauvert, où se tenait une grande foire, et, comme il avait
envie de voir du pays et de connaître les endroits où on peut gagner sa
vie honnêtement, il répondit sans montrer de colère:
--Je ne saurais pas voler, je n'ai jamais appris.
--Tu mens, reprit Catiche, tu voles très-habilement à la forêt de Cernas
son gibier et ses fruits. Crois-tu donc que ces choses-là n'appartiennent
à personne? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre
qu'aux dépens d'autrui? Il y a longtemps que cette forêt est quasi
abandonnée. Le propriétaire était un vieux riche qui ne s'occupait plus
de rien et ne la faisait pas seulement garder. A présent qu'il est mort,
tout ça va changer et tu auras beau te cacher comme un rat dans des
trous d'arbres, on te mettra la main sur le collet et on te conduira en
prison.
--Eh bien, alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m'enseigner à
voler pour vous?
--Parce que, quand on sait, on n'est jamais pris. Tu réfléchiras, il se fait
tard, et il faut nous lever demain avec le jour pour aller à la foire. Je
vais t'arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une
couverture. Pour la première fois de ta vie, tu dormiras comme un
prince.
Emmi n'osa résister. Quand la vieille Catiche ne faisait plus l'idiote, elle
avait quelque chose d'effrayant dans le regard et dans la voix. Il se
coucha et s'étonna d'abord de se trouver si bien; mais, au bout d'un
instant, il s'étonna de se trouver si mal. Ce gros coussin de plumes
l'étouffait, la couverture, le manque d'air libre, la mauvaise odeur de la
cuisine et le vin qu'il avait bu, lui donnaient la fièvre. Il se leva tout
effaré en disant qu'il voulait dormir dehors, et qu'il mourrait s'il lui
fallait passer la nuit enfermé.
La Catiche ronflait, et la porte était barricadée. Emmi se résigna à
dormir étendu sur la table, regrettant fort son lit de mousse dans le
chêne.
Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d'oeufs et six poules à
vendre, en lui ordonnant de la suivre à distance et de n'avoir pas l'air de
la connaître.
--Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien.
Elle lui fixa le prix qu'il devait atteindre avant de livrer sa marchandise,
tout en ajoutant qu'elle ne le perdrait pas de vue, et que, s'il ne lui
rapportait pas fidèlement l'argent, elle saurait bien le forcer à le lui
rendre.
--Si vous vous défiez de moi, répondit Emmi offensé, portez votre
marchandise vous-même et laissez-moi m'en aller.
--N'essaye pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n'importe où;
ne réplique pas et obéis.
Il la suivit à distance comme elle l'exigeait, et vit bientôt le chemin
couvert de mendiants plus affreux les uns que les autres. C'étaient les
habitants d'Oursines, qui, ce jour-là, allaient tous ensemble se faire
guérir à une fontaine miraculeuse. Tous étaient estropiés ou couverts de
plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allègres. Le
miracle n'était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et
les reprenant au bout de quelques semaines, pour
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