Contes dune grand-mère | Page 6

George Sand
riche et
heureux.
Emmi s'étonna beaucoup d'entendre parler distinctement et
raisonnablement la vieille Catiche. La curiosité lui donnait quelque
envie de la croire, mais un coup de vent agita les branches au-dessus de
sa tête, et il entendit la voix du chêne lui dire:
--N'y va pas!
--Bonsoir et bon voyage, dit-il à la vieille; mon arbre ne veut pas que je
le quitte.
--Ton arbre est un sot, reprit-elle, ou plutôt c'est toi qui es une bête de
croire à la parole des arbres.
--Vous croyez que les arbres ne parlent pas? Vous vous trompez bien!
--Tous les arbres parlent quand le vent se met après eux, mais ils ne
savent pas ce qu'ils disent; c'est comme s'ils ne disaient rien.
Emmi fut fâché de cette explication positive d'un fait merveilleux. Il
répondit à Catiche:
--C'est vous qui radotez, la vieille. Si tous les arbres font comme vous,
mon chêne du moins sait ce qu'il veut et ce qu'il dit.

La vieille haussa les épaules, ramassa sa besace et s'éloigna en
reprenant son rire d'idiote.
Emmi se demanda si elle jouait un rôle ou si elle avait des moments
lucides. Il la laissa partir et la suivit, en se glissant d'arbre en arbre sans
qu'elle s'en aperçût. Elle n'allait pas vite et marchait le dos courbé, la
tête en avant, la bouche entr'ouverte, l'oeil fixé droit devant elle; mais
cet air exténué ne l'empêchait pas d'avancer toujours sans se presser ni
se ralentir, et elle traversa ainsi la forêt pendant trois bonnes heures de
marche, jusqu'à un pauvre hameau perché sur une colline derrière
laquelle d'autres bois s'étendaient à perte de vue. Emmi la vit entrer
dans une méchante cahute isolée des autres habitations, qui, pour
paraître moins misérables, n'en étaient pas moins un assemblage de
quelques douzaines de taudis. Il n'osa pas s'aventurer plus loin que les
derniers arbres de la forêt et revint sur ses pas, bien convaincu que, si la
Catiche avait un chez elle, il était plus pauvre et plus laid que le trou de
l'arbre parlant.
Il regagna son logis du grand chêne et n'y arriva que vers le soir,
harassé de fatigue, mais content de se retrouver chez lui. Il avait gagné
à ce voyage de connaître l'étendue de la forêt et la proximité d'un
village; mais ce village paraissait bien plus mal partagé que celui de
Cernas, où Emmi avait été élevé. C'était tout pays de landes sans trace
de culture, et les rares bestiaux qu'il avait vus paître autour des maisons
n'avaient que la peau sur les os. Au delà, il n'avait aperçu que les
sombres horizons des forêts. Ce n'est donc pas de ce côté-là qu'il
pouvait songer à trouver une condition meilleure que la sienne.
Au bout de la semaine, la Catiche arriva à l'heure ordinaire. Elle
revenait de Cernas, et il lui demanda des nouvelles de sa tante pour voir
si cette vieille aurait le pouvoir et la volonté de lui répondre comme la
dernière fois. Elle répondit très-nettement:
--La grand'Nanette est remariée, et, si tu retournes chez elle, elle
tâchera de te faire mourir pour se débarrasser de toi.
--Parlez-vous raisonnablement? dit Emmi; et me dites-vous la vérité?

--Je te dis la vérité. Tu n'as plus qu'à te rendre à ton maître pour vivre
avec les cochons, ou à chercher ton pain avec moi, ce qui te vaudrait
mieux que tu ne penses. Tu ne pourras pas toujours vivre dans la forêt.
Elle est vendue, et sans doute on va abattre les vieux arbres. Ton chêne
y passera comme les autres. Crois-moi, petit. On ne peut vivre nulle
part sans gagner de l'argent. Viens avec moi, tu m'aideras à en gagner
beaucoup, et, quand je mourrai, je te laisserai celui que j'ai.
Emmi était si étonné d'entendre causer et raisonner l'idiote, qu'il
regarda son arbre et prêta l'oreille comme s'il lui demandait conseil.
--Laisse donc cette vieille bûche tranquille, reprit la Catiche. Ne sois
pas si sot et viens avec moi.
Comme l'arbre ne disait mot, Emmi suivit la vieille, qui, chemin faisant,
lui révéla son secret.
«--Je suis venue au monde loin d'ici, pauvre comme toi et orpheline.
J'ai été élevée dans la misère et les coups. J'ai gardé aussi les cochons,
et, comme toi, j'en avais peur. Comme toi, je me suis sauvée; mais, en
traversant une rivière sur un vieux pont décrépit, je suis tombée à l'eau
d'où on m'a retirée comme morte. Un bon médecin chez qui on m'a
portée m'a fait revenir à la vie; mais j'étais idiote, sourde, et ne pouvant
presque plus parler. Il m'a gardée par charité, et, comme il n'était pas
riche, le curé de l'endroit a fait des quêtes pour moi, et les dames m'ont
apporté des habits, du vin, des douceurs, tout ce qu'il me fallait. Je
commençais
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